03/12/2013

The Garden



Going to the community garden was one of the best decisions I made upon arriving in Adelaide's inner city. It allowed me to meet a group of lovely, eccentric, and uncommonly smart people. Where else can you have conversations about depression, wayward children, and Mexican cooking, along with fruit tree rescue advice from the Fruit Tree Goddess, zucchini fertilization lessons (embarrassing, as you have to physically help them do it), and a complete course on composting? The South West community garden definitely is the coolest of the cool: it doesn't have fences (we don't believe in them), the tomatoes are tied up with used stockings (good-quality ones, preferably black) for a bit of cheekyness, the company is always, always exquisite, as well as very progressive, we stage impromptu welcoming ceremonies for forlorn lemon trees, and we simply have plenty of sub-committees, including some where website designing issues are debated with much heat.

And we grow stuff, of course. Anyone can pick it.

We even have an epic poem.

23/11/2013

Nicotine High



As ever, I am an occasional, infrequent smoker, shamefully relying on the kindness of real smokers who put up with the price of tobacco and the scary images on the packets.

Oxygen deprivation gives me a short, subtle high. The reward of my (more or less) weekly fag crashing.

Otherwise, sock-knitting does a good job.

"Après ceux qui s'affolent, holà,
Voilà ceux qui s'affalent."

So true.

15/11/2013

Jacaranda Explosion


I love this moment when the streets become pale purple, the sun starts to hit, and my skin turns brown. In between, I read the life stories of Somali immigrants in Northern Europe, and this brilliant article about Juliano Mer-Khamis (please read it; it is long but absolutely worth every minute you'll spend on it). It gives me a sudden, imperious flash of inspiration: I want to get high on top-quality weed, and lose all my identities in the process. 

I discuss the idea with my husband. His reaction, while not exactly disapproving, is all about the sharpness of the mind.

I end up buying fresh milk to make paneer tikka masala. The sadness of life.


19/10/2013

David Gilmour contre V.S. Naipaul

David Gilmour est un écrivain canadien dont une interview récente pour le magazine en ligne Hazlitt a déclenché des vagues de protestation indignée. Je n'avais jamais entendu parler de lui et j'avoue n'avoir pas plus envie que ça de le lire, même si je partage son amour d'À la recherche du temps perdu. Au-delà de son absence d'intérêt pour les femmes écrivains en général (mis à part Virginia Woolf), ou les écrivains canadiens en général (mis à part lui-même), je suis surtout gênée par son manque de modestie et son ton péremptoire et peu nuancé. C'est amusant de penser que l'académie Nobel vient, à sa façon, de lui envoyer un soufflet en couronnant cette année une Canadienne.

La liste des quarante et un livres qu'il devrait lire, publiée ici, a été compilée par Roxane Gay, qui l'envisage comme une sorte de réponse aux déclarations fracassantes du romancier sexagénaire. Pourquoi ne pas la prendre comme programme de lecture pour l'année prochaine, par exemple ? Cela ferait un beau défi de lecture sous contrainte.

Puisqu'on en est aux déclarations fracassantes, parlons un peu d'un champion hors catégorie dans cette discipline : Sir "Vidia" Naipaul, auteur anglo-trinidadien d'origine indienne et prix Nobel de littérature 2001, célèbre pour son talent littéraire, son arrogance et son cynisme. Lui aussi trouve qu'aucune femme écrivain ne lui arrive à la cheville (décidément), et bat à plate couture David Gilmour dans le domaine de la provocation retentissante, comme on peut s'en rendre compte en faisant quelques recherches sur lui, à l'instar de la cinéaste sud-africaine Gillian Schutte, qui reçut le grand homme chez elle pour un dîner improvisé et tira de cette mémorable soirée un très chouette compte rendu, que je vous conseille vraiment de lire.
I click on a few Google articles about Naipaul. Golly gee. He appears to have been accused of dimensions of vitriol such as I have never heard before. He has been charged with everything from wife-beating, a predilection for anal sex to disproportionate nastiness. His writing has been lauded as anti-black and he has been known to refer to Africans as wogs.
Bref, si j'appartenais à la mouvance de la droite dure, je dirais qu'il aime à pourfendre la bien-pensance politiquement correcte et le prêt-à-penser des affreux bobos droit-de-l'hommistes, enfin, vous voyez le genre. N'empêche que, depuis longtemps maintenant, j'avais envie de lire In a Free State, roman de Naipaul publié en 1971 et qui obtint, cette année-là, le Booker Prize.

J'ai même fini par en acheter une copie. In a Free State est un livre à la forme hybride, mal définie, puisqu'on pourrait aussi bien le décrire comme un recueil de nouvelles de longueurs variables, dont la plus longue, intitulée In a Free State, atteint la dimension d'un court roman, que comme un roman fragmentaire et désarticulé, dont les chapitres, hormis le premier et le dernier, mettent en scène des personnages différents dans des lieux différents, qui n'ont a priori rien à voir entre eux.

Je lis donc la première nouvelle (ou le récit cadre) d'In a Free State, The Tramp at Piraeus. Je trouve que c'est magnifiquement bien écrit (mais ça, tout le monde, détracteurs et admirateurs, est d'accord pour dire que Sir Vidia écrit trop bien), très fin, très bien raconté, avec, en effet, quelque chose d'un peu méchant dans la façon de considérer les personnages, de parler d'eux. Un manque d'empathie, peut-être ? Mais j'ai envie de continuer parce que c'est vraiment intéressant (dans le genre "j'ai du mal à reposer le livre"). Je passe à la deuxième nouvelle, One among too Many ; là, je suis épatée. Remuée par la voix de Santosh, ce cuisinier, ce domestique comme il se décrit lui-même, qui quitte l'Inde avec son riche patron pour aller vivre à Washington. Le récit de son voyage en avion (il n'a encore jamais pris l'avion) vaut son pesant d'or ; l'arrivée dans la grande ville étrangère, la perte des repères, les sentiments d'exil, d'angoisse, de déracinement sont tellement bien décrits que j'en ai le cœur serré. Et il y a ce détail fabuleux : Santosh, qui ne sort que pour aller au supermarché, passe beaucoup de temps à regarder la télévision ; c'est donc à travers la publicité qu'il découvre les Américains, occupés à récurer leurs maisons dans des pubs pour détergents, si tant bien est que lorsqu'il voit des Américains blancs dans la rue, il se demande s'ils sont là "entre deux pubs".

Le récit (ou chapitre) central, In a Free State, me pose pas mal de problèmes dans la mesure où, effectivement, il se caractérise par un sentiment de cynisme, de mépris et de danger qui me met mal à l'aise. Il se passe en Afrique de l'est, dans un pays non identifié de la région des Grands Lacs (probablement l'Ouganda), et raconte le périple de deux fonctionnaires coloniaux anglais qui rejoignent en voiture leur compound, alors que le pays autour d'eux s'enflamme et entre dans la violence. Il n'y a pas une goutte d'empathie ou de cœur dans ce texte plein de fiel, où tout le monde est profondément antipathique et corrompu. Aucune foi en l'humanité.

Malgré tout, j'ai quand même envie de continuer à lire du Naipaul (peut-être, d'abord, Miguel Street). Sans doute que, comme l'écrit Geoffrey Wheatcroft dans cet essai, "we should by now have gotten over the adolescent idea that great creative artists are necessarily lovable people with heartwarming opinions".

---

On a completely unrelated note, je vous signale ce super article de Laila Lalami à propos de The Childhood of Jesus, le dernier roman de Coetzee (que j'ai lu et adoré, j'en parle brièvement ici) ; dans un tout autre registre, des photos du sud de la Chine qui donnent envie de voyager. Enfin, j'ai passé un très bon moment à lire ce génialement drôle billet sur les photos d'écrivains dans la presse (fou rire garanti). Et puis je suis aussi fascinée par ce blog, qui m'a permis de découvrir l'éditorialiste Thomas Friedman, un type un peu dans le genre de David Gilmour pour ce qui est du ton péremptoire et de la confiance en soi écrasante (jugez-en plutôt).

03/08/2013

Liste de choses diverses (hiver)


Green Patch, Port Lincoln


Ces derniers temps...

1) J'ai aimé découvrir le blog Vanished World, qui présente de très belles photos de cimetières juifs et de synagogues abandonnées, en Bucovine et en Ukraine, accompagnées de textes sensibles et intéressants sur la mémoire et l'oubli ;

2) j'ai été émue par l'histoire de la maison qui n'existait pas, sur le fabuleux Poemas del Río Wang ; même si l'histoire finit mal ;

3) j'ai revu Valse avec Bachir, un film complexe et fascinant, et vu pour la première fois Moonlight Kingdom et Somewhere (je sais, je suis très en retard sur l'actualité cinématographique) ;

4) j'ai lu des nouvelles magnifiques d'Andrea Barrett, dont une particulièrement belle mettant en scène Gregor Mendel, le moine botaniste qui inventa la génétique en hybridant des petits pois dans le jardin de son monastère ;

5) je rêve des patrons de tricot du si joli De Rerum Natura et de la laine Jacaranda in Bloom de Madelinetosh (malheureusement en rupture de stock) -- les jacarandas en fleur étant une des choses que je préfère dans l'hémisphère sud {ils sont sur la bannière du blog d'Agnès} ;

Jacaranda


Parathas

6) j'ai préparé des parathas et des nouilles soba, selon des recettes trouvées sur ce chouette blog végétalien garanti sans prêchi-prêcha moralisateur et suffisant, pas diététiquement correct et plein d'idées délicieuses ;

7) j'ai aimé Dance to the End of Love, une vidéo de l'artiste libanais Akram Zaatari ;

8) je lis No God but God de Reza Aslan, et ça me plaît. Bon, je ne comprends pas tout (je n'ai jamais été très douée pour la philosophie et la théologie, disciplines abstraites qui passent généralement très loin au-dessus de mon crâne), mais cela reste vraiment intéressant et enrichissant. {Pour ceux qui aiment être au fait de ce qui se passe dans le domaine des idées, Reza Aslan vient de publier un livre sur Jésus, ce qui n'est pas du tout apprécié par certains journalistes de Fox News}.

---

{Aslan, Reza, No God but God. The Origins, Evolution, and Future of Islam, 2005}
{Barrett, Andrea, Ship Fever, 1996}
{Valse avec Bachir (Vals Im Bashir), Ari Folman, 2008}
{Moonlight Kingdom, Wes Anderson, 2012}
{Somewhere, Sofia Coppola, 2010}

23/07/2013

Mettre de l'ordre et cuisiner {kasundi de tomates}


Avant, je détestais la vaisselle cassée ou abîmée, je trouvais ça laid. Il fallait que tout soit net, immaculé, sans tache et sans rature, comme mes cahiers d'écolière ou les devoirs à rendre, que je passais un temps fou à recopier et mettre au propre. C'est très frustrant car, en réalité, la vie est pleine de désordre et de choses inachevées, et puis je n'arrive jamais à aiguiser mes couteaux correctement (malgré l'achat d'une pierre japonaise néanmoins utile à la fabrication des anches d'hautbois).

Mais je progresse. Il y a quelques semaines, j'ai été désolée quand ma théière en porcelaine a perdu son bec. Finalement, elle me plaît de plus en plus comme ça.

Une maison ordonnée, sans ratures et sans bris, me donne l'espoir d'une vie organisée, d'idées claires et nettes. Ou peut-être est-ce une illusion assez grossière, qui me fait prendre l'apparence pour l'essence ?
Cuisiner est peut-être une manière de mettre de l'ordre dans le chaos, ou de lui donner une forme. Il y a un an, mes amies Mij et Sue m'ont présenté le kasundi, un condiment indien à base de tomates, piments, épices et huile, que j'ai immédiatement trouvé délicieux. À part le servir avec vos currys, ce qui constitue la chose la plus évidente à faire, vous pouvez aussi l'étaler en fine couche sur une tartine de pain ou le proposer avec des pâtes, du riz, un œuf au plat ou un plat de lentilles (quand j'entends "plat de lentilles", je pense aussitôt "biblique"). Ça pique un peu (ou beaucoup), c'est acide, légèrement sucré et vraiment très savoureux. Je pourrais même dire que c'est addictif (avez-vous remarqué comme ce mot issu du domaine de la toxicomanie est devenu populaire lorsqu'on parle de nourriture ? C'en est devenu un cliché assez agaçant, tout ou presque étant "addictif"). [Pour ne pas faillir à ma réputation de grincheuse passéiste conservatrice : un jour, je ferai ici-même une liste commentée des usages linguistiques à la mode qui m'énervent.]

Je craignais un peu de publier une recette ici. Pourtant, j'en ai déjà eu envie, peut-être parce que, parfois, j'aimerais tenir un carnet de cuisine et de do it yourself illustré de jolies photos lumineuses, loin de l'austérité un peu ennuyeuse qui transperce sur ces pages. Même si j'aime vraiment beaucoup Coetzee (que je ne trouve décidément pas sans espoir parce que, j'en parlais l'autre jour avec Paul, il y a dans son écriture une telle empathie pour l'homme (et la femme)) et que j'ai vraiment envie, un jour, de lire Montaigne, j'aime aussi faire des tartes, des confitures et d'autres trucs, comme tricoter des mitaines, un bonnet un peu afghan pour mon mari, un cardigan ravissant pour Gaspard ou une écharpe en Noro Silk Garden (laine japonaise qui coûte les yeux de la tête) (message personnel : les amis, c'est le moment de passer commande, je suis (enfin) passée à la vitesse supérieuse ; et puis si vous avez des enfants c'est très bien car j'adore tricoter pour les tout-petits).

---

Venons-en à la recette :

Pour un nombre raisonnable de pots (c'est-à-dire que vous pourrez en donner un (ou deux) et qu'il en restera encore un peu pour vous -- évidemment si vous utilisez des pots énormes ce ne sera peut-être pas le cas), il vous faudra deux kilogrammes de tomates, mûres évidemment. Attendez la fin de l'été. Il faut aussi environ vingt piments frais, rouges ou verts, moi j'ai utilisé des rouges de forme allongée mais d'autres variétés feront certainement aussi l'affaire. On peut, selon sa tolérance au piquant, ajouter encore une cuillère à café de piment en poudre (ou même plus), ça dépend de vos goûts, de votre éducation et de vos habitudes culturelles.

Tout commence par des graines de moutarde. Certains disent noires, d'autres jaunes, donc moi j'ai mélangé les deux, mais c'est peut-être mieux de s'en tenir à une sorte (mais alors laquelle ? je ne sais pas). En tout cas, il en faut une cuillère à soupe et demie, que vous mettrez à tremper dans 300 ml de vinaigre. Là encore, le choix du vinaigre s'avère compliqué. Une recette préconisait du vinaigre blanc, l'autre du vinaigre de malt. Faites au mieux et selon ce que vous avez. Les graines trempent assez longtemps, disons une nuit, dans le vinaigre. Le lendemain, elles se seront ramollies, et vous passerez l'amère mixture au blender, avec un gros morceau de gingembre pelé et vingt gousses d'ail épluchées. Ça donne une sorte de purée assez liquide.

Vous devez maintenant hacher fin les piments ; pour les graines c'est vous qui voyez, moi je ne les enlève pas, c'est contraignant et pas vraiment nécessaire. Vous devez aussi éplucher les tomates, ça c'est la plaie, faites comme bon vous semble (ébouillantez-les, utilisez votre économe à fruits mous, etc.) ; ensuite, coupez-les en gros morceaux et laissez-les égoutter dans une passoire.  

Pendant ce temps, faites chauffer 120 ml d'huile neutre dans une grande casserole à bords hauts. C'est ici que les choses se corsent : selon une des recettes que j'ai consultées, il faut que l'huile soit très chaude, et même carrément fumante, ce qui est potentiellement dangereux et pourrait déclencher votre alarme incendie (ça sent le vécu). Quand c'est chaud, donc, jetez précautionneusement 1,5 cuillère à soupe de curcuma moulu, 4 de cumin également moulu, la quantité de piment en poudre choisie si vous en utilisez. Faites frire les épices en faisant attention aux projections. Ce qui est chouette, c'est que ça sent bon, et globalement c'est un processus assez excitant. Ajouter les tomates égouttées, les piments frais hachés, la mixture vinaigrée, 120 grammes de sucre et une cuillère à café de sel fin. Laissez mijoter longtemps (plusieurs heures), jusqu'à ce que l'huile remonte à la surface et que la préparation ait épaissi. Goûtez pour ajuster la quantité de sel et mettez en pot. Attendez un peu avant de consommer.

Cette recette est un mélange de celles trouvées dans A Year in a Bottle de Sally Wise (sous le nom de Tomato Chilli Pickles) et dans un ouvrage général sur la "cuisine asiatique" dont j'ai oublié le titre ; il s'agit peut-être de The Complete Asian Cookbook de Charmaine Solomon, dans lequel elle apparaissait sous le nom de Tamatar Kasaundi.

31/05/2013

Premier prix de tristesse


In real life all that he can do well, it appears, is be miserable. In misery he is still top of the class. [Youth, 8]
 ---
His refuge from IBM is the cinema. At the Everyman in Hampstead his eyes are opened to films from all over the world, made by directors whose names are quite new to him. He goes to the whole of an Antonioni season. In a film called L'Eclisse a woman wanders through the streets of a sunstruck, deserted city. She is disturbed, anguished. What she is anguished about he cannot quite define; her face reveals nothing. [Youth, 6]
---

[Le héros, un jeune Sud-Africain vivant à Londres, reçoit une lettre du Home Office l'avertissant qu'il lui reste vingt et un jours pour régulariser sa situation administrative ; il devra sinon quitter le Royaume-Uni.]

There is a third option, hypothetical. He can quit his present address and melt into the masses. He can go hop-picking in Kent (one does not need papers for that), work on building sites. He can sleep in youth hostels, in barns. But he knows he will do none of this. He is too incompetent to lead a life outside the law, too prim, too afraid of getting caught. [Youth, 18]
 ---
The more he has to do with computing, the more it seems to him like chess: a tight little world defined by made-up rules, one that sucks in boys of a certain susceptible temperament and turns them half-crazy, as he is half-crazy, so that all the time they deludedly think they are playing the game, the game is in fact playing them. [Youth, 18]
---
 What would have been Utopian enough for him?
The closing down of the mines. The ploughing under of the vineyards. The disbanding of the armed forces. The abolition of the automobile. Universal vegetarianism. Poetry in the streets. That sort of thing. [Summertime, "Sophie"]
 ---
He was not at ease among people who were at ease. The ease of others made him ill at ease. [idem]
 ---
He was not a militant. His politics were too idealistic, too Utopian for that. In fact he was not political at all. He looked down on politics. He didn't like political writers, writers who espoused a political programme. [idem]
---

En lisant la magnifique pseudo-autobiographie de Coetzee, Scenes from Provincial Life, je n'ai pas arrêté de souligner des phrases et, parfois, j'avais presque l'impression que le livre parlait de moi, ou qu'il disait des choses que je pense mais ne sais pas très bien comment dire.
J'ai plus qu'aimé cette trilogie à la fois subtile et prenante, sèche et riche en émotions, pleine d'humour et d'intelligence. C'est donc une autobiographie fictionnelle, une autrebiographie, écrite (pour les deux premiers tomes) à la troisième personne et au présent de narration et racontant quelques moments dans la vie de John Coetzee : dans Boyhood, le premier tome, une partie de son enfance à Worcester et au Cap, dans l'Afrique du Sud des années 1950 (l'école, le couple dysfonctionnel formé par ses parents, la fascination pour la ferme familiale du Karoo, entre autres choses) ; dans le tome 2, Youth, les études universitaire au Cap puis, enfin, le départ pour Londres à vingt et un ou vingt-deux ans, le poste d'informaticien chez IBM, la solitude immense, la difficulté à être heureux et le sentiment de dépression qui l'envahit dans la grande ville étrangère, froide et inhospitalière dont il espérait tant ; enfin le troisième tome, le carrément fascinant Summertime, qui se présente comme la transcription d'entretiens avec cinq personnes menés par un écrivain anglais qui projette de rédiger la biographie posthume d'un John Coetzee qui ne se confond donc nécessairement pas avec l'auteur du livre, puisqu'il est mort : Julia, sa voisine à Tokai, une banlieue du Cap ; Margot, sa cousine préférée ; Adriana, danseuse brésilienne et mère d'une jeune fille à qui il enseignait l'anglais ; Martin et Sophie, deux collègues de l'université du Cap. Des extraits de journaux intimes encadrent ces témoignages qui se réfèrent tous à la même période, les années 1970, durant laquelle John Coetzee (le vrai et l'être de papier) a publié son premier livre, Dusklands.

Une liste d'idées associées à ces livres
  • la question linguistique (tensions entre anglais et afrikaans, langue aimée et honteuse)
  • le rapport douloureux à l'Afrique du Sud, le malaise par rapport à la question raciale et à l'apartheid
  • le désir et l'ambition de devenir poète, artiste, écrivain
  • la certitude d'avoir une bonne intelligence intellectuelle mais de manquer d'intelligence émotionnelle
  • le don pour la tristesse
  • la mère trop aimante dont il faut se séparer
  • le père repoussoir
  • la famille et la ferme
  • le rêve naïf d'un amour parfait avec une femme qui vous révélerait comme poète et artiste (et qui ressemblerait, par exemple, à Monica Vitti ou Anna Karina)
  • l'autodérision
  • le cinéma "européen"
  • la solitude
  • la danse et l'incapacité à danser, le corps qu'on porte comme un habit inconfortable
  • l'école, l'université, les études, la thèse, l'enseignement, l'éducation
  • le mode de vie spartiate (frugalité, travail, lecture, cinéma)
  • le caractère timide, correct, bien élevé, n'aimant pas le risque et la révolution
  • le tempérament "nordique"
---

À noter : Boyhood, Youth puis Summertime ont été d'abord publiés séparément, respectivement en 1997, 2002 et 2009 ; ils ont ensuite été republiés ensemble en 2011, sous le titre général Scenes from Provincial Life. En français, on trouve ces livres sous les titres suivants, aux éditions du Seuil : Scènes de la vie d'un jeune garçon, traduit de l'anglais par Catherine Glenn-Lauga, Vers l'âge d'homme et L'Été de la vie, traduits par Catherine Lauga du Plessis.

07/05/2013

Voyage à Port Lincoln

Le trajet dura environ six heures. L'autoroute filait droit, je pus lire à haute voix sans difficulté : Boyhood de Coetzee, puis le début du Rouge et du Noir. Je fus épatée par les remarques humoristico-ironiques de Stendhal sur les bourgeois de province, qu'il ne portait décidément pas dans son cœur, mais la langue était un peu difficile à suivre pour Charles qui conduisait. Nous passâmes donc à Emma de Jane Austen, tout aussi jouissif.

Nous fîmes halte à Port Augusta pour visiter un supermarché local où nous achetâmes quelques trucs à grignoter. Il faisait déjà nuit.

A Green Patch il y avait plein d'animaux : poules de toutes sortes, canards, dindes, oies, chèvres angora et cachemire, chiens, bientôt abeilles. Le potager de Chrissie était très beau (je n'ose pas imaginer le travail que ça a dû représenter), j'y cueillis des piments et y pris plein de photos (pas encore développées). J'aimai les paysages sévères de Coffin Bay, où nous vîmes des balbuzards faire du surplace dans le vent, sur fond de coucher de soleil. Nous descendîmes sur la plage rocailleuse. L'eau était très froide, je marchai en collants sur le sable. La veille, chaussures et précieuses chaussettes (achetées rue de la Tulipe à Ixelles) avaient été inondées par une vague facétieuse, sur une autre plage où j'avais eu envie de ramasser des coquillages. Je m'appliquai naïvement à coller les conques contre mon oreille en pensant au poème de Claude Roy : 

Si tu trouves sur la plage
un très joli coquillage
compose le numéro
OCÉAN 0.0.

Et l'oreille à l'appareil
la mer te racontera
dans sa langue des merveilles
que papa te traduira.

Au retour, nous continuâmes à lire Boyhood, puis Youth. (Je suis vraiment fanatique de Coetzee.)

---

(Avec les kilogrammes de fruits du cognassier de Port Lincoln, j'ai fait de la gelée, tâche ingrate consistant à filtrer et faire bouillir des masses de jus en espérant que ça prendra. Chaque fois que j'en fais, je me dis que c'est la dernière. Pour l'instant, elle est très liquide et a la couleur du miel (Dieu de la pectine, si tu m'entends...). Avec la pulpe fastidieusement passée au moulin à légumes, j'ai fait de la confiture, n'ayant pas encore trouvé de recette de pâte de coings qui marche. Si vous avez ça sous le coude, je promets de poster un billet sur le kasundi.)

---

{Roy, Claude, Enfantasques, 1974}
{Stendhal, Le Rouge et le Noir, 1830}
{Coetzee, JM, Scenes from Provincial Life, 2011}

08/04/2013

Où je rêve de rencontrer un homme célèbre


En ce moment je n'arrête pas de lire, ça doit être le pouvoir magique de ma liseuse chérie. Je suis ravie, puisque j'aime à croire que les livres me rendent meilleure. Ainsi, j'ai acheté une deuxième liseuse, d'une autre marque. Elle est arrivée la semaine dernière dans ma boîte aux lettres, préchargée d'une vingtaine de bouquins dont Alice in Wonderland en allemand, dans une traduction du XIXe siècle, ce qui m'a fait tilter parce que lire en allemand, c'est un peu mon nouveau kiff, ou ma nouvelle marotte.

Évidemment, je ne lis que de (très) bons livres. (Ça paraît arrogant. En fait, c'est juste que je crois avoir réussi, au fil des années, à affiner mon flair littéraire de façon à ne (presque) plus me tromper.) Le dernier en date, que j'ai fini aujourd'hui, est Sostiene Pereira (Pereira prétend) de l'écrivain italien Antonio Tabucchi. Je l'avais acheté il y a quelques semaines, après avoir lu un article de Mohsin Hamid sur ce bref roman cher à son cœur.

Je l'ai terminé tout à l'heure et puis je suis allée consulter la notice Wikipedia de Tabucchi, parce que j'avais envie d'en savoir un peu plus sur lui. J'ai alors appris qu'il est mort il y a un an. Je n'ai pas du tout l'impression d'en avoir entendu parler à ce moment-là ! Il avait 68 ans et est mort à Lisbonne, la ville où se déroule Pereira prétend. Dans la notice, le rédacteur explique que Tabucchi a choisi d'apprendre le portugais après avoir eu un choc esthétique en lisant Le bureau de tabac de Pessoa. J'adore ce genre d'histoire où une personne apprend une langue étrangère par passion littéraire, c'est si beau et si rare.

Juste avant, j'ai lu le dernier roman de mon idole littéraire Coetzee. Ça s'appelle The Childhood of Jesus. Voilà un titre programmatique qui laisse le lecteur dans un état d'hésitation particulièrement embêtant. Du style, l'enfant dans le livre, qui s'appelle David, est-il Jésus ? S'agit-il d'un récit allégorique ? D'une parabole ? Quel est ce lieu, à la fois étrange et banal, où vivent les personnages ? Pourquoi ont-ils des discussions philosophiques à longueur de pages ? Que penser de la scène où Simón débouche les toilettes de la mère de David (le texte laisse entendre que le tuyau d'évacuation a été bloqué par des protections périodiques) ? Et de cette autre scène, où Simón cherche à  devenir membre d'un "centre de loisirs et de divertissement" qui propose des séances de "thérapie physique" ? Pourquoi le chien s'appelle-t-il Bolívar et le copain de David Fidel ? Faut-il y voir une allusion politique ? Beaucoup de choses déconcertantes et pas mal d'humour pince-sans-rire dans ce livre fascinant.

Coetzee habite dans la même ville que moi et j'espère le rencontrer un jour, ce qui est idiot car en fait je n'aurais rien à lui dire, à part "j'adore vos livres, sauf In the Heart of the Country", "votre enfance en Afrique du Sud, ça n'avait pas l'air très marrant" et "votre nom se prononce bien Coutte-zée ?" Malgré tout, j'aime à rêver que ce serait chouette d'aller boire un thé avec lui et de parler, peut-être, de Don Quichotte, de the pooness of poo et de bouquins. Si tout se passait bien, je pourrais même l'inviter à dîner et concocter un menu végétalien, bien sûr il y aurait aussi mon cher Paul et en partant je leur donnerais à chacun un pot de kasundi* de tomates. Le grand homme me tapoterait l'épaule benoîtement et repartirais, l'œil critique. Je serais enchantée. Il serait comme une sorte de père spirituel que j'admirerais infiniment.

--

*le kasundi est un condiment épicé à base de tomates et de piments frais, d'origine bengalie. Tout est meilleur avec et je pourrais même, si ça vous intéresse, vous en donner la recette, ce qui serait une première ici.

--

{Coetzee, JM, The Childhood of Jesus, Melbourne, The Text Publishing Company, 2013}

{Tabucchi, Antonio, Sostiene Pereira, Feltrinelli, 1994 -- Pereira prétend, traduit de l'italien par Bernard Comment, 1994}

22/03/2013

Paul


Paul nous reçoit dans son petit appartement, où l'encombrement est extrême. Nous slalomons gracieusement entre les piles de livres et de papiers jusqu'à la table, où trône un ordinateur PC à l'apparence hostile. Notre hôte, en survêtement et pantoufles, fait montre malgré tout d'une certaine élégance, sans doute consubstantielle à sa personne. Il s'excuse du désordre. Je lui dis "a clean house is a sign of a wasted life" (je le pense vraiment). Il s'excuse de ne pas proposer d'entrée et nous sert du poulet vapeur avec du riz blanc et du chou chinois un peu trop cuit. Pendant le repas, il nous lit la définition de l'extraordinaire mot "cantankerous", raconte un traumatisme d'enfance impliquant un lapin domestique (qu'il fit, dans un moment de cruauté juvénile, crier -- je me mets à mon tour à table et avoue avoir revêtu la petite chienne de mon grand-père de vêtements de poupée), explique que, quand il était petit, sa sœur lui lisait The Hobbit et Watership Down. Bien sûr, nous reparlerons de lapins, mais aussi d'acolytes (au sens ecclésiastique), de poésie et d'art épistolaire. Pour le dessert, il y a des coings mijotés et des macarons à la noix de coco difformes. Nous repartons avec un livre suranné et charmant de Pamela Hansford Johnson (le souvenir d'une scène de ce roman fait pouffer de rire notre cher hôte). L'histoire se passe à Bruges et les personnages principaux sont assez névrosés, dans le genre humoristique.

---

{Hansford Johnson, Pamela, The Unspeakable Skipton, 1959}

12/03/2013

Notes de lecture du mois de mars


Dimanche soir

En ce chaud mois de mars, j'ai envie de relire le rafraîchissant Livre du thé d'Okakura Kakuzô (je viens de terminer Fuji San de Jacques Roubaud, un bref et délicieux texte sur la poésie japonaise, le mono no aware (le sentiment des choses) et le mont Fuji, et tout ça m'a donné soif de culture nippone).

Je voudrais aussi lire :

- Les Frères Ashkenazy et D'un monde qui n'est plus, d'Israël Joshua Singer, parce que j'ai relu récemment Un jour de plaisir, un des plus beaux livres qui soient, et qu'Isaac Bashevis Singer, l'auteur, y parle beaucoup de son grand frère Israël Joshua.
- Les années d'Annie Ernaux, parce que je pense que ça pourrait me plaire.
- Un livre de Daniel Tammet, n'importe lequel, je pense que vous comprendrez pourquoi en lisant cet article.
- Le livre de la journaliste Barbara Demick sur la Corée du Nord, Nothing to envy: Ordinary Lives in North Korea ; (Puisqu'on est dans le sujet, j'aimerais dire ici que je n'ai pas trop aimé la partie du Lièvre de Patagonie où Claude Lanzmann raconte sa folle histoire d'amour avec une infirmière nord-coréenne, à Pyongyang, à la fin des années 1950. Ça donnait vraiment l'impression d'une grande immodestie.)
- ce livre sur Jan Karski ; après avoir lu celui de Yannick Haenel et Story of a Secret State (le livre que Jan Karski a écrit en 1944), j'ai envie d'en savoir plus sur cette personne si remarquable et admirable et sur la résistance polonaise pendant la Seconde Guerre mondiale.

Luise, Lotte et Minoes

J'ai lu récemment mon premier livre en allemand et en ai été ravie. J'avais choisi un roman d'Erich Kästner que j'adorais enfant et ça s'est très bien passé : j'ai presque tout compris et surtout, malgré mon niveau faiblard, j'ai apprécié le charme de l'écriture, les tournures élégantes et le délicieux humour linguistique de Kästner. ça m'a rappelé une expérience similaire il y a quelques années en lisant Minoes de la géniale Annie M.G. Schmidt, en néerlandais. D'ailleurs, pour votre plaisir uniquement, en voici un long extrait :

[Minoes, chatte devenue jeune fille après avoir mangé des trucs bizarres dans une poubelle, rencontre des difficultés d'adaptation et se rend chez une sorte de psychanalyste, à la demande de son patron.]

--

— Votre nom, s'il vous plaît ? demanda le docteur.
— Mademoiselle Minouche.
— Minouche, c’est votre nom de famille ou votre prénom ?
— C’est mon nom usuel, dit Minouche.
— Donc votre nom de famille, c'est quoi ?
Elle se tut un instant, suivit du regard une mouche qui bourdonnait sur la fenêtre puis déclara : « Je crois que je n’en ai pas. »
— Comment s’appelait votre père ? demanda le docteur.
— Le rouquin d’en face.
— Eh bien, vous portez donc son nom.
Le docteur écrivit sur une fiche : « Mademoiselle Minouche Lerouquin d’Enface. »
— Bon, racontez-moi vos problèmes.
— Mes problèmes ? Mais je n’en ai pas !
— Pourtant vous vouliez me parler. Il doit bien y avoir une raison ?
— Ah oui, mon patron dit que je suis trop chatte.
— Trop quoi ?
— Trop chatte. Et il pense que je le suis de plus en plus.
— Peut-être veut-il dire que vous avez quelque chose d’un peu félin ?
— C’est ça, dit Minouche.
— Bien, dit le docteur. Commençons par le commencement. Parlez-moi de vos parents. Que faisait votre père ?
— Il errait, dit Minouche. Je ne l’ai pas connu. Je ne peux rien vous dire sur lui.
— Et votre mère ?
— Une grise tigrée.
— Pardon ? Le docteur la regarda fixement à travers ses lunettes.
— C’était une grise tigrée. Elle nous a quittés. Ecrasée.
— Ecrasante, marmonna le le docteur et il nota : « Mère écrasante. »
— Non, elle a été écrasée, insista Minouche.
— Mais c’est épouvantable ! s'exclama le docteur.
— Oui, les phares d’un poids lourd l’ont aveuglée. Mais cela fait très longtemps.
— Bon, continuons. Vous avez des frères et sœurs ?
— Nous étions cinq.
— Vous étiez l’aînée ?
— Nous avions tous le même âge.
— Des quintuplés donc ? ça n’arrive pas souvent.
— Mais si, dit Minouche, ça arrive tout le temps. [...]

--

J'espère que ça vous a plu ! (Ça ne rend pas justice à l'original, qui est si adorablement écrit, mais j'ai dû faire de mon mieux car je n'ai pas accès à la traduction publiée.) Pour terminer, soyez sages et allez lire tout de suite cette bande dessinée (en ligne, gratuite) supérieurement intéressante.

--

{Lewkowicz, Alain, Bourgeau, Vincent, Pott, Samuel, Sainsauve, Marc, Anne Frank au Pays du Manga, Arte/Subreal Productions, 2012}
{Schmidt, Annie M.G., Minoes, 1970 -- Cette mystérieuse Minouche, traduit du néerlandais par Olivier Séchan, 1989}
{Kästner, Erich, Das doppelte Lottchen, 1949 -- Deux pour une, traduit de l'allemand par René Lasne, 1950}
{Karski, Jan, Story of a Secret State. My Report to the World, 1944 -- Mon témoignage devant le monde : histoire d'un Etat clandestin, traduction de l'anglais anonyme, révisée et complétée par Céline Gervais-Francelle, 2010}
{Haenel, Yann, Jan Karski, 2009}
{Wood, E. Thomas, Jankowski, Stanislaw M., Karski: How One Man Tried to Stop the Holocaust, 1994}
{Lanzmann, Claude, Le lièvre de Patagonie, 2009}
{Demick, Barbara, Nothing to Envy: Ordinary Lives in North Korea, 2009}
{Daniel Tammet, par exemple L'Eternité dans une heure, 2013}
{Ernaux, Annie, Les années, 2008}
{Singer, Isaac Bashevis, Un jour de plaisir, traduit de l'anglais par Marie-Pierre Bay, 1979 -- A Day of Pleasure, 1969}
{Singer, Israël Joshua, Di brider Ashkenazi, 1936 -- The Brothers Ashkenazi, translated from the Yiddish by Joseph Singer, 1980 -- Les frères Ashkenazy, traduit de l'anglais par Marie-Brunette Spire et Fun a velt vos iz nishto mer, 1946 -- Of a World that Is No More, 1970 -- D'un monde qui n'est plus, traduit du yiddish par Henri Lewi, 2006}
{Roubaud, Jacques, Fuji San, publie.net, "Temps réel", 2007}
{Kakuzô, Okakura, The Book of Tea, 1906 -- Le livre du thé, traduit de l'anglais par Corinne Atlan et Zéno Bianu}

05/03/2013

Comme s'il n'était donné qu'aux "inférieurs" de souffrir de différences que les autres estiment sans importance

La semaine passée, nous avions une invitée charmante qui m'a gentiment laissé un best-seller suédois au titre interminable, que je n'ai pas encore lu (j'hésite un peu, je ne suis pas sûre que ça va me plaire). Elle est partie samedi après-midi avec deux jeunes backpackers aux cheveux blonds ébouriffés, dans un quatre-quatre équipé de pare-buffles et d'un tuba.

Samedi soir, j'ai relu Une femme d'Annie Ernaux. J'adore ce livre si beau et dépouillé, qui m'a fait pleurer à chaudes larmes. Au-delà du côté poignant, ce texte fourmille de remarques intéressantes et qui sonnent toujours très juste, comme celle-ci par exemple :

Je me suis mise à mépriser les conventions sociales, les pratiques religieuses, l'argent. Je recopiais des poèmes de Rimbaud et de Prévert, je collais des photos de James Dean sur la couverture de mes cahiers, j'écoutais La mauvaise réputation de Brassens, je m'ennuyais. Je vivais ma révolte adolescente sur le mode romantique comme si mes parents avaient été des bourgeois. Je m'identifiais aux artistes incompris. Pour ma mère, se révolter n'avait eu qu'une seule signification, refuser la pauvreté, et qu'une seule forme, travailler, gagner de l'argent et devenir aussi bien que les autres. D'où ce reproche amer, que je ne comprenais pas plus qu'elle ne comprenait mon attitude : "Si on t'avait fichue en usine à douze ans, tu ne serais pas comme ça. Tu ne connais pas ton bonheur." Et encore, souvent, cette réflexion de colère à mon égard : "ça va au pensionnat et ça ne vaut pas plus cher que d'autres."
A certains moments, elle avait dans sa fille en face d'elle, une ennemie de classe.

ou celle-ci :

Mon mari et moi, nous avions le même niveau d'études, nous discutions de Sartre et de la liberté, nous allions voir L'Avventura d'Antonioni, nous avions les mêmes opinions politiques de gauche, nous n'étions pas originaires du même monde. Dans le sien, on n'était pas vraiment riche, mais on était allé à l'université, on s'exprimait bien sur tout, on jouait au bridge. La mère de mon mari, du même âge que la mienne, avait un corps resté mince, un visage lisse, des mains soignées. Elle savait déchiffrer n'importe quel morceau de piano et "recevoir" [...].
A l'égard de ce monde, ma mère a été partagée entre l'admiration que la bonne éducation, l'élégance et la culture lui inspiraient, la fierté de voir sa fille en faire partie et la peur d'être, sous les dehors d'une exquise politesse, méprisée.
Une femme est un ouvrage très bref, qui peut se lire en une heure environ. Cela vaut la peine de lire, juste après ou avant, La place, livre parallèle qui porte sur le père d'Annie Ernaux. Sans doute un peu moins fort (parce que, peut-être, le rapport l'était aussi moins) mais tout autant intéressant comme portrait d'un homme et d'un père, et comme réflexion sur l'ascension sociale de l'enfant qui installe une distance douloureuse avec les parents.

---

Ernaux, Annie, Une femme, Gallimard, 1987 -- La place, Gallimard, 1983

21/02/2013

À propos d'Alif the Unseen

Il y a quelques jours, j'ai profité d'une pause dans mon travail et d'un début de grippe pour passer deux jours à lire, et je me suis jetée sur Alif the Unseen, que j'avais acheté en octobre dernier. C'est un roman relativement épais (427 pages) mais très facile à lire, dans le sens où il s'agit de ce genre de livre "riche en péripéties diverses et trépidantes que l'on a du mal à reposer car on veut absolument savoir la fin de l'histoire". Enfin, c'est le sentiment que j'ai eu.

Comme je ne boude pas mon plaisir de lecture, j'apprécie ce genre de bouquin qui donne un sursaut d'adrénaline, ce qui ne veut pas dire que je n'aime pas les histoires "où rien ne se passe", d'ailleurs. Enfin, j'ai un peu réfléchi à ce livre et j'avais envie d'en parler ici.

Ce que j'ai aimé : un mélange de genres surprenant et rafraîchissant qui mêle merveilleux déclaré (roman de fantasy plein de magie) + technologie (cyberthriller, réflexion sur l'identité et les mondes virtuels) + politique très contemporaine (révolutions arabes, hacktivisme, censure sur Internet) + sentiment religieux + un peu de théologie islamique + amour et aventures, avec course poursuite dans le désert + un côté borgésien et métafictionnel, avec livre dans le livre et infini des significations du Coran + de l'humour et plein, plein d'imagination.

Ce qui m'a un peu moins plu : finalement, le côté disons "techno" de l'histoire est un peu décevant, ne serait-ce que parce qu'il me paraît vaguement incompréhensible (évidemment, c'est certainement parce que je n'y connais rien). Un peu comme cette lectrice, je pourrais dire que l'idée du livre est plus séduisante que sa réalisation. Dans ce sens, je ne pense pas le relire un jour, une fois aura suffi, mais je vais en revanche conserver son auteure, G. Willow Wilson, dans mon radar littéraire, car elle a indéniablement un talent prometteur. J'ai un peu honte de l'avouer mais en fait, je l'ai découverte via son compte Twitter, ce qui donne la mesure de mon oisiveté, certains jours. Pour ceux qui s'intéressent à ce genre de choses, elle est aussi auteure de bandes dessinées et a publié un texte sur son expérience de la conversion que j'ai bien envie de lire.

---

Comme, vous l'avez sans doute compris, Alif the Unseen se déroule dans un univers arabo-musulman, la magie y est principalement le fait de djinns et d'effrits, forcément. Ça m'a fait penser au superbe poème de notre adoré Victor national, que vous connaissez certainement (le poème, je veux dire -- il s'appelle Les Djinns).

Murs, ville,
Et port,
Asile
De mort,
Mer grise
Où brise
La brise,
Tout dort.

Dans la plaine
Naît un bruit.
C'est l'haleine
De la nuit.
Elle brame
Comme une âme
Qu'une flamme
Toujours suit !

[...]

Ça continue comme ça, en augmentant d'une syllabe à chaque nouvelle strophe jusqu'au décasyllabe, puis en réduisant pour revenir à deux (notez que Victor a zappé l'ennéasyllabe, qui a mauvaise réputation). Vous pouvez lire le poème en entier ici, par exemple.

---

{Willow Wilson, G., Alif the Unseen, London, Corvus Books, 2012 -- pas de traduction française pour l'instant}

01/02/2013

La lectrice et la liseuse


Comme ceci est, ou devrait être à tout le moins, avant tout un journal de lecture, il me semble nécessaire de noter ici que j'ai assez récemment fait l'acquisition d'une petite liseuse électronique, dont je tairais pudiquement la marque. Pour moi le mot liseuse a longtemps désigné un petit gilet de nuit, de couleur pastel et orné de rubans, que l'on enfile frileusement par dessus sa longue chemise de toile quand les soirées sont un peu frisquettes et que l'on veut lire au lit (et que l'on a un peu froid, puisque le buste supérieur et les bras ne peuvent pas être recouverts par la couette ou la couverture). Donc maintenant je pourrais, si je voulais, lire au lit en liseuse et sur une liseuse, ce qui est quand même assez vertigineux, surtout si par exemple je coordonne les couleurs des deux liseuses. 

Je suis ravie de mon nouveau gadget. C'est particulièrement utile pour les longs voyages et les interminables trajets en avion, car cela permet d'éviter l'angoisse du manque de livres sous la main, dont je suis affligée, et qui m'obligeait à trimballer d'épais et encombrants volumes alourdissant mes valises. Il y a comme un nouveau plaisir à lire sur ce petit écran opaque et compact, et je viens d'y dévorer Congo. Une histoire de David Van Reybrouck, un livre vraiment magistral que j'ai immédiatement recommencé à lire une deuxième fois et qui m'a mis le Congo dans la tête.

Je vous laisse avec ma liste récapitulative 2012. Bientôt ici : des photos de vacances, quelle horreur. La frontière germano-polonaise, les plages d'Usedom en pleine nuit, la Poméranie et l'Uckermark sous la neige, le jardin de Marianne et Bruno à Uccle, le plus fantastique tea-cosy du monde, Maxime et Gaspard dans le train, paysages des Monts métallifères et gare d'Annaberg submergée de flocons (photo artistique).

---

Lu

Murakami, Haruki, 1Q84, translated from the Japanese by Philip Gabriel and Jay Rubin, 2011 ++++ (mind-blowing)
Collins, Wilkie, The Moonstone, 1868 +++ (la classe)
Balzac, Honoré (de), Le cousin Pons, 1847 +++ (la grande classe)
Balzac, Honoré (de),  La cousine Bette, 1846-1847 +++ (idem)
Duperey, Anny, Le voile noir, 1992 (photographies de Lucien Legras) +++ (beau texte analytique sur le deuil, sensible et très bien écrit, photos splendides)
Balzac, Honoré (de), L'Envers de l'histoire contemporaine, 1848 + (vraiment pas mon préféré de Balzac, auteur qui semble bien fonctionner pour me remettre sur les rails de la lecture -- c'est le côté hyper-romanesque, peut-être)
Hansford Johnson, Pamela, The Unspeakable Skipton, 1954 +++ (prêt de Paul, dont c'est un des livres préférés)
Tanith, Mij, Stories from a Garden, 2012 ++ (acheté à l'auteur)
Pagnol, Marcel, Le temps des amours, 1977 ++ (relecture)
Pagnol, Marcel, La gloire de mon père, 1957 +++ (relecture)
Pagnol, Marcel, Le château de ma mère, 1957 +++ (relecture)
Pagnol, Marcel, Le temps des secrets, 1959 +++ (relecture)
C'était drôlement chouette de relire les Souvenirs d'enfance à l'âge adulte, et j'ai même pleuré à la fin du Château (!) -- j'adore le "réduit d'infamie" d'Isabelle Cassignol, la fille de Loïs de Montmajour, l'humour de Pagnol, le côté gracieux, mélancolique, léger et profond à la fois.
Mak, Geert, De brug -- The Bridge - A Journey Between Orient and Occident, translated from the Dutch by Sam Garrett, 2007 (2008 pour la traduction) ++ (achat) (chouette livre sur le pont de Galata à Istanbul)
Robinson, Marylinne, Gilead, 2005 ++ (très beau)
Iordanidou, Maria, Vacances dans le Caucase - Διακοπες στον Καυκασο, roman traduit du grec par Blanche Molfessis, 1988 (1997 pour la traduction) +/- (achat, déception après le génial Loxandra)
Thiele, Colin, Storm Boy, 1964 ++ (prêté par Sara) classique australien pour enfants, adapté en film que j'aimerais bien voir
Kaibeck, Julien, Adoptez la slow cosmétique, 2012 (pas de moqueries svp)
Maspero, François, Les passagers du Roissy-Express, photographies d'Anaïk Frantz, 1990 ++ (relecture, emprunt à la bib)
Conrad, Joseph, Heart of Darkness, 1899 ++ (liseuse)
Lowry, Lois, The Giver, 1993 ++ (chouette fiction dystopique pour adolescents lue sur liseuse)
Lowry, Lois, Messenger,  2004 ++ (liseuse)
Lanzmann, Claude, Le lièvre de Patagonie, 2009 ++ (emprunt à ma mère)
Singer, Isaac Bashevis, Un jour de plaisir, traduit de l'anglais par Marie-Pierre Bay, 1979 - A Day of Pleasure, 1969 +++ (relecture d'un livre que j'adorais enfant -- pas déçue du tout, à la hauteur de mes souvenirs)
Haenel, Yannick, Jan Karski, 2009 ++ 

Vu sur petit ou grand écran

Black Swan, Darren Aronofsky, 2010 -- déçue par ce film qui pourtant avait tout pour me plaire 
Die Frau mit den 5 Elefanten, Vadim Jendreyko, 2009 (revu) -- un de mes films préférés de tous les temps
Miranda (série), Miranda Hart et Juliet May, 2009
Todo sobre mi madre, Pedro Almodóvar, 1999 (revu)
Le Messie, William Klein, 1999 (revu)
Laberinto de Pasiones, Pedro Almodóvar, 1982 (revu)
La mala educación, Pedro Almodóvar, 2004 (revu)
Peau d'âne, Jacques Demy, 1970 (revu)
Les demoiselles de Rochefort, Jacques Demy, 1967 (revu)
Une chambre en ville, Jacques Demy, 1982
Bach et bottine, André Melançon, 1986
Lola, Jacques Demy, 1960
Les demoiselles ont eu 25 ans, Agnès Varda, 1993
Les parapluies de Cherbourg, Jacques Demy, 1964 (revu)
Model Shop, Jacques Demy, 1969
La baie des anges, Jacques Demy, 1963
Lady Oscar, Jacques Demy, 1979
Habemus Papam, Nanni Moretti, 2011
Kung Fu Hustle/Gong fu, Stephen Chow, 2004
Duck Soup, Leo MacCarey, 1933
The Iron Lady, Phyllida Lloyd, 2011
El Gusto, Safinez Bousbia, 2011
Tanzträume, Rainer Hoffmann et Anne Linsel, 2010 (revu)
Camille redouble, Noémie Lvovsky, 2012