06/04/2014

Le book club et la bibliothèque


Il y a quelques mois, je suis devenue membre d'un club de lecture, chose très populaire dans ce pays où beaucoup de femmes (et quelques rares hommes) participent à de telles structures. C'est une entreprise à laquelle je m'étais solennellement promis de ne jamais adhérer, pour la bonne et simple raison que je craignais devoir suivre les recommandations littéraires de personnes certes bien intentionnées, mais dont je n'approuve pas nécessairement les goûts. Oui, je suis intolérante, insupportable et pleine de préjugés, c'est vrai, et je trouve que la plupart des gens lisent des choses assez médiocres, ou du moins qui ne m'intéressent pas le moins du monde. (Comme en plus je suis pleine de contradictions, cela m'arrive aussi d'aimer certains livres à succès.) L'idée de consacrer du temps et de l'argent à des bouquins douteux me paraissait carrément rébarbative. Pourtant, j'ai fini par céder aux sirènes d'un club composé de femmes gréco- et italo-australiennes excessivement sympathiques, drôles et chaleureuses, et je ne le regrette pas, alors même que, pour l'instant, je suis effectivement chagrinée par les livres qu'elles choisissent. Les séances sont en effet de très bons moments, où on s'amuse énormément tout en mangeant des spécialités méditerranéennes absolument délicieuses, et où on parle finalement assez peu de livres*. Je fais tout de même l'effort d'emprunter à la bibliothèque les romans nunuches qui nous sont assignés, que je survole en diagonale.

Je suis contente de retourner à la bibliothèque après tant d'années d'éloignement, et j'aime bien l'atmosphère à la fois studieuse et récréative qui se dégage de ces lieux si accueillants. L'autre jour, j'y ai emprunté un livre de cuisine, ce qui ne m'était pas arrivé depuis bien longtemps. Il s'agit de Silk Road Cooking de Najmieh Batmanglij, dont j'ai envie de faire à peu près toutes les recettes, et en particulier les suivantes : salade de riz aux cerises acidulées, aux aubergines et à la grenade, soupe à la pistache, tomates farcies à la géorgienne, omelette à la rose, salade de pommes de terre ouzbèke, scones afghanes, soupe iranienne de nouilles à la verdure et plein de trucs avec safran, pétales de rose, cardamome, cannelle, blé concassé, noix, mélasse de grenade et autres délicieusetés. En plus, le livre est plein d'informations culturelles vraiment intéressantes sur la route de la soie ou la poésie persane et les photos n'ont pas cet agaçant style léché qui prédomine dans l'édition culinaire. C'est substantiel, terriblement appétissant et même pas branché.

À part ça, ces derniers temps j'ai aimé :
  • un excellent article sur la "burqa lit" ou, comme les appelle l'auteure, les "chroniques du voile"; vous avez certainement déjà remarqué ces nombreux bouquins qui racontent l'histoire de femmes musulmanes cruellement opprimées. L'article montre comment ces livres servent plutôt à se rassurer sur sa propre valeur -- genre "nous on traite quand même mieux les femmes que ces gens-là" -- et à s'apitoyer de manière quelque peu condescendante qu'a informer sur les problèmes que rencontrent les femmes dans les pays musulmans.
  • les suggestions de lectures de Teju Cole. J'adore quand les écrivains donnent des conseils de lecture et j'ai trouvé ceux-ci très inspirants : poésie, romans, histoire de l'art et photo (et même un roman sur la photo, c'est fou) ; je suis très intriguée par Penelope Fitzgerald, dont je n'avais jamais entendu parler, et j'ai vraiment envie de m'acheter le livre sur Bruegel (Inside Bruegel d'Edward Snow).
  • une longue interview de Jacques Roubaud, aussi précieux que rare dans les médias. On y apprend qu'il lit essentiellement en anglais, qu'il préfère se tenir à distance de la psychanalyse et qu'il prépare, avec l'Oulipo, un projet fascinant : imaginer le contenu du livre que tient le gisant d'Aliénor d'Aquitaine à l'abbaye de Fontevraud.
  • les confidences d'Anne Carson, mystérieuse poétesse volcanique, à un journaliste du NYT ; j'adore sa remarque sur le grec ancien : "It just seemed to me the best language." Ce genre de chose ne s'explique pas, évidemment. Quant à moi, je viens juste de terminer Autobiography of Red de ladite poétesse et ce livre troublant m'a donné envie de lire Stésichore, le génie des adjectifs.
  • Merchants of Doubt, pour l'instant le meilleur livre de l'année (titre provisoire puisque nous ne sommes qu'en avril) ; épatant et tellement intéressant, il m'a permis de comprendre certains grands enjeux de notre temps (voilà que je deviens pompeuse) ; en effet, grâce à lui je me sens maintenant, si nécessaire, capable d'avoir une conversation informée sur le réchauffement planétaire (notez que, malgré cela, je n'essaierais probablement pas si l'occasion se présentait), et donc réellement un tout petit peu plus intelligente (c'est dit). En plus d'être rigoureusement documenté, il est extrêmement bien écrit, dans la tradition du journalisme d'investigation de haute volée, ce qui rend sa lecture haletante autant que palpitante. 
  • une brève (mais efficace) interview de Judith Butler, qui remet les pendules à l'heure. Ça m'a même donné envie de lire Trouble dans le genre. À conseiller à tout le monde, et en particulier aux angoissés de la "théorie du gender", avec l'accent français.  
  • ce billet de blog sur les B.D. qui traitent du génocide rwandais. Maintenant je veux toutes les lire.
  • cet article à propos de l'écrivain Dinaw Mengestu, dont j'ai très envie d'acheter le dernier roman, All Our Names. 
  • J'ai aussi très envie de m'acheter ce livre de Paolo Rumiz, découvert grâce à cet article. Mais voilà, il n'existe pas au format électronique, et malheureusement c'est très souvent le cas des livres en français qui me font envie. Résultat : je ne lis presque plus en français. Chers éditeurs francophones, n'oubliez plus de proposer aussi vos nouvelles parutions au format e-pub.
* Peut-être que les book clubs, dans l'ensemble, ne sont pas faits pour les gens qui prennent la lecture trop au sérieux.

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