24/03/2011

Où je fais preuve d'égocentrisme

J'aime beaucoup l'auteure anglaise Jenny Diski (vous pouvez consulter son site ici) ; elle a par exemple écrit un livre assez fascinant sur son tour des États-Unis en train (Stranger on a Train), un autre sur une croisière en Antarctique (Skating to Antarctica). Attention, malgré les apparences, ce ne sont pas à proprement parler des livres de voyages mais plutôt des sortes de mémoires personnels où elle évoque son enfance,  ses parents, ses différents séjours en hôpital psychiatrique... (et aussi ses voyages).

Il y a quelques années, en lisant On Trying to Keep Still, je suis tombée sur ces mots (page 102) : "blank, ordinary, thoughtless and without the smallest item of interest about me."

J'étais troublée car -- ahem -- c'était tout à fait moi.

Un peu plus loin (page 207) : "Not having any useful skills." [...] "Not having political or metaphysical faiths." C'était exactement ça.

On Trying to Keep Still est placé sous le signe de Montaigne, héros de la solitude bien employée. Justement, cela fait des années que j'ai envie de lire Montaigne (j'ai même racheté à une amie perdue de vue son exemplaire (en bon état) des Essais dans la collection Quadrige aux PUF, la meilleure édition paraît-il). Ce n'est pas une lecture des plus faciles. Pourtant, quand Marie de Gournay découvre les Essais à l'âge de 19 ans, elle est tellement enthousiasmée qu'il lui faut prendre quelques graines d'ellébore pour se calmer (l'ellébore est une plante de la famille des renonculacées qui passait autrefois pour guérir la folie)... Ce genre de détail me laisse rêveuse.

[Edit : une personne bien informée m'apprend que le dernier roman de Jenny Diski, Apology for The Woman Writing, est justement consacré à Marie de Gournay ! Ce qui n'est pas très étonnant, en fin de compte.]

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{Diski, Jenny, Apology for the Woman Writing, 2008 -- On Trying to Keep Still, 2006 -- Stranger on a Train, 2002 -- Skating to Antarctica, 1997} [pas de traductions en français]

{Montaigne, Michel de, Essais, 1580 (première édition)} [plein d'éditions, dont une en français moderne]

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Merci à Lucie P. qui m'a fait découvrir Jenny Diski et à Michel Magnien, qui avait parlé dans son cours de Marie de Gournay et de l'ellébore -- ça m'a marquée.

18/03/2011

Salut, protéine insondable

"Le restaurant du chef-lieu du mont Athos n'a pas de nom pour la bonne raison qu'il n'y en a pas d'autre. Il n'a pas de carte non plus. Il prépare deux plats, de la soupe de haricots et des spaghettis."

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Dans mes rêves les plus fous, j'instaure une dictature féroce où certaines tantes de Charles, carnivores zélées incapables de concevoir un repas sans viande, seraient condamnées au végétalisme strict. Nourries de riz complet aux lentilles et à la sauce tomate (agrémenté d'oignons frits, comme dans ce plat égyptien auquel, personnellement, j'ai très envie de goûter, et d'herbes cuites citronnées, dont les Grecs sont friands et qu'ils appellent horta), elles [les tantes, pas les herbes] dépériraient d'ennui et se souviendraient avec émotion des rôtis de porc pleins de crackling, des saucisses moelleuses et des côtelettes d'agneau rosées de leur enfance. 

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Si, vous non plus, vous n'aimez pas trop JSF et n'avez donc pas envie de lire son dernier livre, où il explique que c'est mal de manger les animaux, vous pouvez lire ce chouette article. Vous pouvez aussi cuisiner une mujaddara (miam), un gâteau à la banane, des galettes aux flocons d'orge ou à la purée de légumes, que vous accompagnerez par exemple d'un diabolique smoothie vert épinard (ça fait peur au début, mais on s'y habitue) et de freekeh (ma nouvelle découverte au supermarché du coin -- c'est très bon).

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(J'envisage aussi une autocratie qui interdirait la télévision, les magazines féminins, la voiture, l'avion, la margarine ainsi que certaines musiques, celles qui sont diffusées en boucle aux enfers (je ne citerai aucuns noms). Pour compenser, je promets qu'il y aurait plein de cinémas, des transports en commun confortables, des gares magnifiques, des boulangeries artisanales et des vendeurs de snacks bon marché et délicieux, riches en acides gras polyinsaturés, potassium, vitamine K, oméga-3 -- et ce à tous les coins de rues.)

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{Safran Foer, Jonathan, Eating Animals, 2009 -- Faut-il manger les animaux ?, traduit de l'anglais par Gilles Berton et Raymond Clarinard, 2011}

{Alexakis, Vassilis, Ap. J.-C., 2007}

10/03/2011

Où je m'intéresse à la langue japonaise tout en me réconciliant avec la littérature française contemporaine

En ce moment je cherche du travail -- c'est un peu angoissant -- et je vais bientôt me marier (ça ne devrait pas l'être). Bref. Pour ceux qui aiment ce genre de choses et qui ne sont pas encore au courant, Murakami Haruki a récemment publié un roman en trois (oui, trois !) volumes. La traduction anglaise de 1Q84 est prévue pour l'automne prochain, la française courant 2011, chez Belfond. Je ne sais pas vous, mais moi je suis. extrêmement. impatiente.

En attendant j'ai lu, du même auteur, What I Talk About When I Talk About Running -- une sorte d'essai sur la course à pied et l'écriture, et ce qu'elles représentent pour MH (qui court un marathon et un triathlon par an). À vrai dire, cet ouvrage ne sera pas mon préféré de cet écrivain, que j'apprécie énormément par ailleurs. Mais quand même, ça m'a donné envie de courir. Je crois que je vais essayer de faire le tour de la place Whitmore, pour commencer.

Toujours en attendant 1Q84, je lis Making Sense of Japanese de Jay Rubin (un livre drôle et passionnant, même si vous ne parlez pas le japonais (ce qui est mon cas), mais qui demande quand même de s'intéresser un minimum à la linguistique) et j'ai pris un cours de japonais au centre communautaire. Tant qu'à faire, je pense aussi aller au cours de mandarin -- si Dieu le veut.

Pour en arriver à la deuxième partie du titre de ce billet : je ne vais pas m'attarder sur l'état préoccupant de la littérature française actuelle, l'impéritie de trop nombreux auteurs, l'abus d'autofiction et toutes ces sortes de choses déprimantes et frivoles. Parce que je viens de lire un adorable et délicieux livre de ce cher Vassilis Alexakis, qui bien qu'il soit grec écrit en français (en fait, je crois qu'il écrit deux versions simultanées de ses textes, une grecque et une française, et puis il pratique l'autotraduction), lecture que je vous recommande chaudement (et ce même si vous ne vous intéressez absolument pas au mont Athos), ainsi qu'un très passionnant roman sur l'assassinat de Reinhard Heydrich par deux partisans tchécoslovaques en 1942, écrit par un monsieur qui s'appelle Laurent Binet et qui est aussi professeur de français (voilà, je me réconcilie avec le noble corps enseignant). Sans rire, j'ai trouvé ce texte magistralement réussi.

Si vous ne savez pas qui est Reinhard Heydrich, honte sur vous (je plaisante, mais vous devriez quand même lire l'article de Wikipedia qui le concerne).

(Merci à Vassilis A., Laurent B. et Jessica S. pour ses bons conseils.)

PS Je viens d'apprendre que le réalisateur Tran Anh Hung, connu par exemple pour L'Odeur de la papaye verte (que j'avais trouvé assez ennuyeux -- pardonnez-moi si vous l'aimez) a récemment tourné une adaptation de Norwegian Wood de MH, avec des acteurs japonais, dont la séduisante Kikuchi Rinko.

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{Binet, Laurent, HHhH, 2009}

{Alexakis, Vassilis, Ap. J.-C., 2007}

{Rubin, Jay, Making Sense of Japanese, 1998 (previously published under the title Gone Fishin' in 1992}

{Murakami, Haruki, What I Talk About When I Talk About Running, translated from the Japanese by Philip Gabriel, 2008 -- Hashiru koto ni tsuite kataru toki ni boku no kataru koto, 2007 -- Autoportrait de l'auteur en coureur de fond, traduit du japonais par Hélène Morita, 2009}