10/10/2011

Hier kommt die Sonne

Ce que j'ai chaud ! C'est qu'il est midi.
Je ne sais plus bien ce que je dis.

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Ici, les gens se tartinent de crème dès le début du printemps, qui d'ailleurs ressemble à l'été (pas belge). "The driest state in the driest country", m'a-t-on répété à l'envi. J'appréhende déjà les journées à quarante degrés et plus dans notre appartement orienté plein ouest et très lumineux, mes principes rigides m'interdisant d'allumer la climatisation (qui de toute façon n'est pas très efficace). Il ne restera plus qu'à se calfeutrer ou aller à la plage.

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Savez-vous que Richard Coles, un des deux membres du duo pop Communards, est aujourd'hui pasteur de village ? Il a l'air absolument charmant et possède un délicieux sens de l'humour. Exemple : "I'd always loved everything about religion except the content. I loved the liturgy, I loved the music, I just thought the content was pernicious nonsense." Ah ah (lisez l'article ici, vous passerez un excellent moment). Quant à moi, je commence à devenir vraiment obsédée par les pasteurs protestants, celui-ci me plaît aussi beaucoup, d'ailleurs j'ai envie de lire son livre (qui s'appelle Croire en un dieu qui n'existe pas, sous-titre Manifeste d'un pasteur athée -- j'adore). Les pasteurs que je fréquente sont tous fort aimables mais malheureusement assez traditionalistes, avec des variations saisonnières (le pasteur F., par exemple, adore la pop des années 1980 et les Simpsons -- il est très bel homme, diablement sympathique et,  pour des raisons théologiques aussi compliquées que mystérieuses, farouchement opposé à l'ordination des femmes, et sans doute à plein d'autres trucs. J'évite de parler politique avec lui (en fait, je parle assez rarement de politique parce que c'est rarement productif). Dans tous les cas, j'ai décidé de voter pour Eva Joly à l'élection présidentielle -- je le dis sans honte ni crainte, d'autant plus que, pour la première fois de ma vie, je suis assez contente de voter pour quelqu'un. À ce propos (mais en fait, plutôt hors de propos) le pasteur F., que tout le monde adore (y compris moi) et qui a adoré Lætitia, une très chouette fille un peu grunge qui déteste les enfants et a joué de la basse pour une des compositions dudit pasteur, semble fermement opposé à l'écologie politique et aux thérapies alternatives (je n'ai pas très bien compris pourquoi, mais je crois qu'il y a une raison théologique -- un truc du genre put your faith in the right thing) -- heureusement que je ne suis ni homéopathe, ni New Age.

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Ite, missa est

Je lis toujours Guerre et Paix (en fait je suis empêtrée dans la bataille de Borodino, un moment un peu difficile) et j'essaie aussi de comprendre la crise de l'eurozone, la dette grecque, etc. Par exemple, je lis le blog Coulisses de Bruxelles, des papiers signés par des économistes ou des articles du Soir sur la scission de BHV.  Le plus souvent, ça me désespère. On a l'impression que quelque chose de terrible va se passer, mais on ne sait pas bien quoi. A l'église où je vais tous les dimanches, on prie pour que les dirigeants prennent de bonnes décisions. Hum. La dernière fois, après l'office, nous sommes allés au déjeuner paroissial annuel, où une vieille dame très distinguée s'écria "Oh but it's home things" face à une manifestation d'affection parfaitement digne qu'elle jugea néanmoins déplacée. J'en fus très mortifiée et en conçus des pensées meurtrières à l'égard de cette péronnelle.

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PS (un peu daté, plus personne ne semblant plus parler de ces choses mystérieuses qui faisaient la une des journaux il n'y a pas longtemps du tout) : un autre article amusant (à propos de l'affaire Karachi). Ces jeunes gens, représentants de l'élite de la République ou aristocrates de sang princier, ont un vocabulaire digne d'un camionneur autiste. Quelle platitude ! Quelle pauvreté d'expression ! Quel langage !

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Sinon, sur le front de la lecture : Jeffrey Eugenides vient de publier un nouveau roman, ça s'appelle The Marriage Plot et vous pouvez lire une critique ici. J'avais bien aimé The Virgin Suicides et Middlesex, alors je suis assez curieuse de lire ce nouvel opus. J'attends aussi de pouvoir m'acheter le nouveau Murakami, j'ai commandé à la librairie ce livre qui a l'air génial et j'ai un bouquin de the amazing and beautiful Chimamanda Ngozi Adichie sur ma table de nuit.
Sur la photo (de CK, moi je ne fais plus de photos depuis un an, pour des raisons matérielles), c'est Auntie Eva dans son jardin, où j'ai cueilli aujourd'hui un kilogramme de kumquats. Personne ne pourra dire que je ne parle pas de ma vie quotidienne ici.

07/09/2011

Journal de lecture de Guerre et Paix : la famille Rostov et les affreux Berg

Dans Guerre et Paix, il y a plein, plein de personnages. Des réels comme Napoléon, le tsar Alexandre Ier, le général en chef Koutouzov ou l'homme politique Mikhaïl Speranski ; (on apprend  ainsi quelques petites choses sur les guerres napoléoniennes et la Russie tsariste  -- ça tombe bien pour moi car j'ignore tout de  cette période. Enfin, j'ai une vision très utilitariste de la littérature et j'adore apprendre en lisant, voyez-vous, ce qui est un peu ringard, j'en conviens).


Evidemment, il y a aussi des personnages fictifs, qui sont bien plus importants et curieusement plus réels que les personnages vraiment réels -- tant mieux vu le temps qu'on passe avec eux.


Prenez Natacha Rostova, par exemple : une adolescente incroyablement vivante, très intéressée par le flirt, la danse et les garçons, adorant chanter, insolente, pleine d'entrain, courant partout et qui vous fera certainement penser à certaines jeunes filles de votre connaissance. Dans la version cinématographique de Sergei Bondartchouk elle est incarnée par Lyudmila Savelyeva, qui au vu de ces images me semble assez parfaite. (Maintenant j'ai très envie de voir ce film, c'est dommage car le coffret coûte un bras.)[Note  supplémentaire sur Natacha : en fait, elle me fait aussi penser à la bondissante jeune fille de cette immortelle chanson, qui m'inspire deux autres choses : 1. Lio est vraiment trop mignonne mais alors, qu'est-ce qu'elle danse mal ; 2. Les paroles sont carrément osées ; peut-être qu'aujourd'hui on interdirait cette chanson pour incitation à la pédophilie. Qu'en pensez-vous ?]


Les Rostov (la famille de Natacha) sont une famille nombreuse, pleine de vie, de fantaisie et d'amour intergénérationnel. Ils s'opposent aux Bolkonski, de meilleure noblesse, plus fortunés mais terriblement dysfonctionnels, dépressifs et, surtout, bourrés de complexes.


Le papa de Natacha, le comte Rostov, adore recevoir et organiser des dîners chics pour ses amis. Il aime ses enfants et dépense pour eux sans compter, à vrai dire c'est un véritable panier percé qui gère très mal son argent (qu'il n'a pas vraiment gagné à la sueur de son front puisqu'il possède des terres sur lesquelles travaillent des serfs et se fait rouler dans la farine par son intendant (l'abolition du servage en Russie n'eut lieu qu'en 1861) -- c'est donc un homme socialement irresponsable). Mais bon, le comte Rostov n'est pas quelqu'un de très réfléchi, vous l'aviez compris je pense.

À part ça, Natacha a une sœur aînée, Vera, mariée à un certain Berg. Les époux Berg sont, comment dire, parfaitement stupides, ennuyeux et conformistes.


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The Bergs, having prepared everything necessary for the soirée, were ready to receive their guests.

In the new, clean, bright study, decorated with little busts, and little pictures, and new furniture, sat Berg and hiw wife. Berg, in a brand-new, buttoned-up uniform, sat beside his wife, explaining to her that one can and must have acquaintances among people above oneself, because only then can one find pleasure in one's acquaintances.
"You can imitate something, you can ask for something. Just look how I've fared since the lower ranks." (Berg reckoned up his life not in years but in imperial rewards.) "My comrades are still nobodies now, but I already occupy the post of a regimental commander, and I have the happiness of being your husband" (he got up and kissed Vera's hand, but on his way straightened the turned-back corner of the carpet). "And how have I acquired it all? Mainly by knowing how to choose my acquaintances. It goes without saying that one must be virtuous and precise."
Berg smiled with a consciousness of his superiority over a weak woman and fell silent, thinking that all the same this sweet wife of his was a weak woman, who could not comprehend all that made up the dignity of a man—ein Mann zu sein. At the same time, Vera also smiled with a consciousness of her superiority over her virtuous, good husband, who all the same understood life wrongly, as, in Vera's view, all men did. Berg, judging by his wife, considered all women weak and stupid. Vera, judging by her husband alone and extending the observation to everyone, supposed that all men ascribed reason only to themselves, and at the same time understood nothing, were proud and egoistic.
Berg got up and, embracing his wife carefully, so as not to rumple her lace pelerine, for which he had paid dearly, kissed her in the middle of the lips.
"Only we shouldn't have children too soon," he said, following an unconscious association of ideas.
"Yes," replied Vera, "I don't want that at all. One must live for society."
"That's exactly the same as Princess Yupusov wore," said Berg with a happy and kindly smile, pointing to the pelerine.
Just then the arrival of Count Bezukhov was announced. The two spouses exchanged self-satisfied smiles, each claiming silently the honour of this visit.
"That's what it means to know how to make acquaintances," thought Berg, "that's what it means to know how to behave!"
"Only, please, when I'm entertaining the guests," said Vera, "don't interrupt me, because I know how to entertain each of them and what to say in all kinds of company."
Berg also smiled.
"Impossible: sometimes men must have a male conversation," he said.

(chapitre XX de la troisième partie du deuxième volume, p. 468-469 de la traduction Pevear-Volokhonsky)

[J'adore particulièrement ein Mann zu sein (Berg est d'origine balte, donc plus ou moins germanophone) et One must live for society, d'ailleurs, la prochaine fois qu'on me demande si je veux des enfants, ce sera ma réponse.]

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photo de CK

27/08/2011

Mist U iemand die al weg is?

Je suis arrivée à la page 441 de Guerre et Paix -- assez loin pour ne plus pouvoir m'arrêter en chemin. Et alors, me direz-vous, c'est comment ? Plutôt classe, assez facile à lire dans l'ensemble -- comme toujours dans les romans russes, je me perds un peu dans l'onomastique (fichus patronymes), mais j'ai une édition très smart pourvue d'un index des personnages auquel je me réfère au moindre doute, par exemple quand je me dis "zut, c'est qui déjà Dmitri Ilarionovitch ?" [nom inventé dont je ne garantis pas la russitude].

Au passage, la smartitude de ladite édition ne connaît pas de limites puisqu'elle offre aussi à ses lecteurs épatés un résumé hyperconcis des chapitres, sur lequel j'ai un peu trop louché (triple zut, Lise Bolkonsky va mourir en couches et Pierre se réconcilier avec son antipathique épouse, me suis-je alors dit).

Si j'étais aussi smart que mon édition, je vous expliquerais avec moult arguments à l'appui quel est l'intérêt de lire les classiques aujourd'hui. Remerciez mon manque de *** qui vous épargne un assommant sermon. Enfin, ça fait du bien de lire des choses un peu consistantes, je m'étais un peu perdue dans les romans contemporains nord-américains ces dernières années. [Note : il y a de bons auteurs contemporains nord-américains, c'est juste que la monotonie culturelle m'ennuie.]

Donc, au programme des prochains mois, si possible :

  • L'Homme sans qualités
  • Le Genji Monogatari
  • Svetlana Alexievich 
  • Le dernier Murakami
  • Saramago
  • Ernesto de Martino
  • un essai dont l'auteur est un pasteur athée néerlandais (terriblement excitant, je l'avoue)
  • Harmonia Caelestis
Que dire d'autre ? (Je suis d'humeur bavarde aujourd'hui...) Ah oui, j'ai toujours bien aimé cette histoire du fleuve dans lequel on ne se baigne jamais deux fois. C'est très perturbant quand on y réfléchit.

Autre chose qui me perturbe : c'est tout de même embêtant de dire "américain" pour "des USA". Il y a des gens qui s'en sortent avec "états-unien", mais je trouve que ça fait trop lecteur du Monde diplomatique (avec tout le respect dû a cette auguste journal) : je ne me sens  pas assez de gauche pour parler comme ça (et pourtant, je m'intéresse à la Fraction armée rouge). "Nord-américain" limite les dégâts mais reste insatisfaisant. Que faire ? [Un couscous, mais je n'ai toujours pas la recette. Peut-être aller se coucher, alors.]

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(Photo de CK)

20/08/2011

Humeurs du jour (Emmy, Sofia, Ghalia, Martine, Svetlana)

Les accès de sensiblerie m'agacent. Je supporte assez mal que l'on se mette à pleurer pour des raisons sentimentales. Pourtant, en regardant ce reportage sur la Coupe du monde de football des sans-abris, j'ai pleuré. C'est ridicule et j'ai un peu honte de le dire.

J'ai aussi (discrètement) pleuré au mariage de Christian et Georgia, parce que quelqu'un, avant la cérémonie, avait passé cette chanson. C'est encore plus ridicule et incompréhensible.

J'ai pleuré, à chaudes larmes et sans aucune retenue, quand j'ai vu ce film et aussi pour Les 400 coups (mais j'avais 13 ans).

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Je voudrais lire une biographie d'Emmy Noether ou de Sofia Kovalevskaïa, qui prouvent que les femmes ne sont pas génétiquement vouées à confectionner des tartes aux pommes.

J'ai bien aimé cet article qui m'a donné envie, pour la première fois de ma vie, de regarder une émission culinaire. Ici, mes neveux et nièces sont fans de MasterChef, ça me déprime à fond.

J'ai aussi bien aimé ce portrait lu sur le chouette blog Urbains sensibles (mais je n'ai pas pleuré).

Sans réel rapport avec le portrait mentionné juste au-dessus : si je comprends assez mal les gens religieux qui ramènent tout à Dieu, je trouve les antireligieux virulents qui crachent a priori sur toute forme de religion assez fatigants, eux aussi.

J'ai très envie de lire des livres de Svetlana Alexievitch. Tout à l'air trop bien. Mais quelle misère, le fantastique tarif livres de la poste française a disparu.

Pour finir, chouette, un nouveau film de Pedro Almodóvar ! (Vive les valeurs sûres.) Puis je suis curieuse de voir le dernier de Lars von Trier, après avoir été intensément rebutée par ses précédents. Ainsi que  Midnight in Paris, que j'imagine un peu aigre-doux.

30/07/2011

If the world could write by itself, it would write like Tolstoy

En ce moment je lis Guerre et Paix, dans la traduction de Richard Pevear et Larissa Volokhonsky -- j'en suis seulement à la page 80, alors souhaitez-moi bon voyage.

La phrase que j'ai choisie en titre de ce billet est d'Isaac Babel, je la trouve très belle. Je l'ai découverte dans la préface de Richard Pevear, à laquelle elle est mise en exergue. Cette préface est très intéressante et donne carrément envie de lire le texte qui la suit (comme ce n'est pas toujours le cas, ça vaut la peine de le dire).
Pour l'instant, Guerre et Paix me plaît beaucoup. Ce passage m'a ravie, par exemple.

The German tutor tried to memorize all the kinds of dishes, desserts, and wines, in order to describe everything in detail in his letter to his family in Germany, and was quite offended that the butler with the napkin-wrapped bottle bypassed him. The German frowned, trying to show by his look that he did not even wish to have this wine, but was offended because no one wanted to understand that the wine was necessary for him, not in order to quench his thirst, nor out of greed, but out of a conscientious love of knowledge. (chapitre XV de la première partie)

J'avais aussi envie de signaler, pour ceux qui s'intéressent à ce genre de choses, le très beau documentaire de Vadim Jendreyko sur la traductrice Svetlana Geier, La femme aux cinq éléphants. Un des meilleurs films de tous les temps, avec Soy Cuba (vous pouvez ajouter à la liste le Peau d'Âne de Jacques Demy, auquel je voue une passion coupable et incomprise de tous).

[Edit pour ceux qui aimeraient voir ce film : c'est possible au cinéma en France, consultez ce site pour faire une recherche de salle ; il y a aussi un DVD (code 0) que l'on peut acheter ici, il coûte 29,50 francs suisses (sans les frais de port), est sous-titré en français, anglais, allemand, portugais, italien, espagnol, russe et polonais (c'est énorme). Enfin, le distributeur français, Nour Films, annonce une édition pour le mois de septembre, avec des tas de bonus.]

Et aussi : John E. Woods explique dans cet article qu'il a pleuré en traduisant la fin de Joseph et ses frères de Thomas Mann, selon lui "the most beautiful thing Mann ever did". Ça donne très envie, d'autant  que La montagne magique est déjà un des plus beaux romans qui soient. (via Love German Books)

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Sur ce, je me retire dans ma tour où, drapée dans une couverture violette de Parme, je lirai Tolstoï en buvant du Lapsang Souchong.

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{Tolstoy, Leo, War and Peace, translated, annotated and introduced by Richard Pevear and Larissa Volokhonsky, 2007 -- Voyná i mir, 1869}

13/07/2011

Je jouirai de ma joie en verger ou chambre

Cela fait quelques années que je suis intriguée par la sextine "ongle et oncle" d'Arnaut Daniel, que j'ai découverte en lisant l'exquise (et injustement méconnue) trilogie d'Hortense de Jacques Roubaud. Pour ceux qui ne connaissent pas ladite trilogie, je crois que cela vaut vraiment la peine de se ruer chez le libraire (prenez en même temps Le Chevalier silence, du même auteur) ; à une certaine époque, j'ai dû offrir La belle Hortense des dizaines des fois, avec un espoir quasi évangélique.*

Mais revenons à mes moutons [beeeh] et à Arnaud Daniel, né au XIIe siècle dans le Périgord ; Arnaut était troubadour et écrivait en occitan, une langue magnifique que j'aimerais connaître et qui, c'est un peu triste, n'a pas très bien résisté au rouleau compresseur du français. Il a  donc inventé la sextine, forme poétique composée de six strophes (ou coblas) de six vers, terminés par six mots-rimes qui avancent et reculent au cours du (long) poème, selon un système de permutation dit escargotique ou en spirale.


A B C D E F
F A E B D C
C F D A  B E
E C B F A D
D E A C F B
B D F E C A


La sextine (ou canso, c'est comme ça qu'Arnaut l'appelait, le mot "sextine" étant venu plus tard) se termine généralement par une tornada, envoi de trois vers reprenant les six mots-rimes.


Voici la première et la dernière coblas de la canso d'Arnaut, dans deux traductions différentes.


La ferme volonté qui au cœur m’entre         
ne peut ni langue la briser ni ongle               
de médisant qui perd à mal dire son âme   
n’osant le battre de rameau ni de verge    
sinon en fraude là où je n’ai nul oncle         
je jouirai de ma joie en verger ou chambre 

(traduction de Jacques Roubaud)                


Ainsi s'empreint et se fait ongle
Mon cœur en elle comme écorce en la verge
Car de joie elle m'est tour, palais si bien que chambre,
Et tant n'aime frère ni parent ni oncle.
Alors en Paradis joie double aura mon âme,
Si homme jamais pour bien aimer n'y entre. 
      
(traduction de Charles Albert Cingria) 

C'est mystérieux, incestueux, angoissant et assez érotique, enfin c'est l'impression que ça me fait. Peut-être même que ça pourrait en mettre certains mal à l'aise. Au cas improbable où vous auriez envie de lire la suite, vous pouvez le faire ici. Si vous voulez en savoir plus, Pierre Lartigue a compilé, dans L'Hélice d'écrire, des tas de sextines provenant de lieux et d'époques variés.

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*Hortense, créature désarmante et brillante étudiante en philosophie, vit de folles péripéties aves six princes jumeaux originaires de Poldévie, des chats, des poneys, des adolescentes rousses et des organistes. Dans le premier tome de ses aventures, elle travaille sur son mémoire de maîtrise à la bibliothèque (Hortense est une pré-Bologne), est enlevée dans le deuxième et part en voyage dans le troisième. Dit comme ça, ça n'a l'air de rien mais, en fait, c'est fabuleux autant que charmant, et si ces livres étaient des gâteaux ils seraient aussi délicieux qu'une tarte à la rhubarbe rose et acidulée.

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{Lartigue, Pierre, L'Hélice d'écrire, 1994}
{Roubaud, Jacques, Le Chevalier silence, 1997}
{Roubaud, Jacques, La belle Hortense, 1985}
{Roubaud, Jacques, L'Enlèvement d'Hortense,1987}
{Roubaud, Jacques, L'Exil d'Hortense, 1990}

21/06/2011

Un peu de poésie (Paul Valéry, la Pythie, l'Σ de Delphes et Vassilis Alexakis)


Paul Valéry appartient probablement à l'interminable catégorie des auteurs pas lus (selon cet article (d'ailleurs plutôt pas mal), Doris Lessing en ferait aussi partie, ce qui est un peu dommage). À vrai dire, j'admets lire ce cher Paul assez rarement, voire pas du tout, mais j'ai eu une période intense, et je continue à apprécier l'auteur du Cimetière marin, ce long poème dont, peut-être, vous connaissez le premier vers :
Ce toit tranquille, où marchent des colombes, [...]
Pour ceux qui s'intéressent à ces petites choses obscures et sans importance, ledit premier vers (qu'on peut aussi appeler, si on est un vrai snob, incipit) est souvent donné comme exemple de métaphore in absentia (c'est-à-dire une métaphore dont le terme comparé, le thème, est absent). Je vous laisse deviner l'identité du thème, d'accord ? Mais comme c'est hyperfacile, il n'y aura pas de récompense.

Bref, Paul écrivait une poésie assez précieuse, un peu hermétique, bourrée de mots difficiles et de métaphores compliquées, éventuellement filées (je sens déjà que vous l'adorez). Ce n'est pas très étonnant, puisqu'il fut influencé par Mallarmé et les symbolistes. Aujourd'hui, j'aimerais parler de son poème La Pythie, en commençant par cet extrait :
[...] mots écumants,
donts les éclats hachent ma langue
que j'ai lu pour la première fois dans un livre génial d'Agnès Rosenstiehl, adorée auteure de la série des Mimi Cracra, de Paris-Pékin par le transsibérien et du Français en liberté, ouvrage illustré charmant et utopique détaillant la visite de deux enfants au musée des tropes (vraiment sympa, ce musée).

La Pythie raconte, en 23 dizains d'octosyllabes (ce qui fait quand même 230 vers et 1840 syllabes, un peu indigeste donc), un épisode de transe dans la vie de cette pauvre femme, la Pythie, qui était donc prêtresse  et oracle au temple d'Apollon de Delphes (un très bel endroit, d'ailleurs -- dans un souci d'exactitude, j'aimerais souligner le fait qu'il y eut de nombreuses pythies et non pas une seule, mais par commodité (bouh) on parle toujours d'elles au singulier. Vous pouvez lire l'article de Wikipedia ici si vous désirez en savoir plus). 

Pavlos, le héros de La langue maternelle (roman de Vassilis Alexakis), se prend de curiosité pour l'Σ qui était inscrit à l'entrée de ce temple, et dont personne ne connaît la signification. Ça le perturbe tellement qu'il fait des listes de mots commençant par Σ... (personnellement, j'adore faire des listes de mots de trois lettres ou d'adjectifs contenant uniquement la lettre a, par exemple -- c'est une occupation peu fructueuse, mais qui me procure un certain bonheur).

Quand on est oracle, forcément, on a souvent l'occasion d'être en transe. La Pythie officiait dans un petit espace carré et peu profond, à l'intérieur du temple, appelé adyton. Elle mâchait des feuilles de laurier et se faisait des fumigations de farine d'orge, certainement pour se mettre dans l'état approprié. Si vous avez envie d'essayer (parce que vous êtes déprimé ou en panne d'inspiration, par exemple), la farine d'orge se trouve facilement dans toute bonne épicerie bio. Prenez-la complète, peut-être deviendrez-vous alors, comme elle :
Étourdie, ivre d'empyreumes
[empyreume, nom masculin : odeur, goût âcre, désagréable d'une substance organique soumise à l'action d'un feu vif -- définition du Trésor de la langue française].

Héraclite dit, en effet, que les oracles de la Pythie ne cachent ni ne dévoilent rien, mais qu'ils signifient (souvent, j'aimerais bien signifier un peu plus). 

Dans La langue maternelle, Pavlos rencontre un épigraphiste qui lui raconte l'histoire suivante :
Vous connaissez peut-être le conseil que la Pythie a donné aux habitants de Délos, qui avaient différents ennuis. Elle leur a dit de doubler le volume de l'autel d'Apollon qui se trouvait dans leur île. La duplication du cube est un problème de géométrie extrêmement difficile... On ne le résoud pas en multipliant par deux ses dimensions... La Pythie a fourni aux Déliens une occupation pour qu'ils cessent de ressasser leurs malheurs.
Cela ouvre un certain nombre de perspectives, par exemple l'étude de la géométrie comme méthode d'évasion thérapeuthique. J'y songe sérieusement.

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{Illustration : John Collier, Priestess of Delphi, 1891, Art Gallery of South Australia, Adelaide}
{Alexakis, Vassilis, La langue maternelle, 1995}
{Valéry, Paul, "La Pythie", in Charmes, 1922}
{Rosenstiehl, Agnès, Le français en liberté, 1983}

22/05/2011

Ma vie quotidienne est pleine de violence (et de points-virgules)

En vrac :
  • je chante Bateau sur l'eau en balançant de petits Australiens de 3 ans dans un drap fleuri (ça, c'est mon nouveau job) ;
  • j'ai une cocotte minute qui siffle, et je l'utilise presque tous les jours ;
  • aujourd'hui il pleut, ici c'est l'automne ; on a même ramassé des feuilles mortes avec les enfants ; (pas les miens, hein -- je n'en ai pas) ;
  • au parc naturel de Deep Creek, il y a plein de kangourous qui broutent paisiblement l'herbe ; l'endroit est très beau, on voit Kangaroo Island à l'horizon ;
  • si j'étais riche, je mangerais tous les jours au café Bliss Organic, dont la cuisinière est polonaise ;
  • en attendant, je rêve de faire des Brotknepfle et de la soupe aux Klöße/Knödel de semoule (sans doute mon côté germanique) ; et puis aussi du couscous (me manque la recette) et des madeleines bien bossues ; ici, la cuisine marocaine est considérée comme quelque chose d'assez exotique ;
  • j'ai lu un très beau livre d'Anatoli Kuznetsov, un auteur russo-ukrainien (mort) ;
  • maintenant, j'ai très envie d'aller à Kiev ; c'est possible, bien que sans doute très inconfortable, avec les lignes de bus Eurolines ;
  • j'ai souvent envie d'aller dans des endroits où personne ne veut aller ; ça me plaît je crois ;
  • je me suis mariée, c'était charmant et fantaisiste, bien que religieusement célébré. Maintenant, je suis une femme mariée (gasp !). Je n'ai même pas acheté de vêtements pour l'occasion, ce qui est quand même très classe, non ? (Je triche un peu, j'avais des chaussures neuves ; pour le reste, c'était du vieux et de l'emprunté, mais pas de bleu.) ;
  • on a commandé un fruit cake sans gluten (certains membres éminemment sympathiques de la famille y étant sévèrement allergiques) ; il était recouvert d'une épaisse couche de glaçage blanc  (pouah !) ;
  • j'ai lu plein plein d'articles sur les malheurs de l'ex-directeur du FMI ; je me demande pourquoi d'ailleurs ; dire que, certainement, j'aurais voté pour lui en 2012, certes sans conviction ; 
  • on a un clavecin turquoise à la maison ; ça me fait penser à Scott Ross et à Scarlatti ; j'aime bien le petit son aigrelet ;
  • nos casques de vélo ont été volés, snif ;
  • sur la photo, petit déjeuner à De Markten ; peut-être que ce croissant ne correspondait pas à l'archétype du croissant selon Jacques Roubaud ; mais le lieu est très chouette ;
  • bonne semaine.
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Café De Markten, Oude Graanmarkt 5, 1000 Brussel
Bliss Organic Cafe, 7 Compton Street, Adelaide SA 5000

    28/04/2011

    Love Nanni Moretti

    Si Caro Diario n'est pas mon film favori de Nanni Moretti, il n'est quand même pas mal du tout. La  partie que je préfère (c'est un film en trois parties) est celle de la tournée dans les îles Éoliennes, où Nanni M., accompagné d'un ami érudit (un certain Gerardo qui s'est retiré à Lipari pour étudier l'Ulysse de James Joyce), recherche désespérément un havre de paix propice au travail. Lipari se révélant trop bruyante, les deux compères vont d'abord à Salina, île d'apparence inoffensive où les enfants uniques ont pris le pouvoir et interceptent toutes les communications téléphoniques et où Gerardo se prend d'une passion coupable et dévorante pour les telenovelas et les séries américaines, en particulier Amour, gloire et beauté (The Bold and the Beautiful en VO), puis à Stromboli, où ils sont accueillis par un maire passablement mégalomane et gravissent le célèbre volcan. Ils font ensuite une brève escale à Panarea, dont l'ambiance jet-set décadente les fait fuir dès leur sortie du bateau (Benvenuti a Panarea, leur souhaite de sa voix insupportablement onctueuse une svelte blonde armanienne, sans doute event organiser de profession, qui prépare une fête célébrant le mauvais goût où Helmut Berger viendra in mutande (en slip)). La croisière se termine à Alicudi, île rude et sans commodités où vivent des sortes de moines antiberlusconiens qui décrivent les Italiens comme "un des peuples les plus vulgaires du monde"* et s'éclairent à la bougie.

    Gerardo, qui en vrai intellectuel transalpin parle couramment latin, n'hésite pas à citer le poète élégiaque romain Tibulle pour justifier son goût immodéré des séries.
    Quam juvat inmites ventos audire cubantem [comme on aime entendre les vents sauvages alors qu'on est couché] (la traduction vient de )
    J'aime bien cette idée, qui me fait penser à des vers d'un autre poète latin, Lucrèce, dans De Rerum Natura
    Suave, mari magno turbantibus aequora ventis, e terra magnum alterius spectare laborem; non quia vexari quemquast jucunda voluptas, sed quibus ipse malis careas quia cernere suavest.
    [Quand les vents font tourbillonner les plaines de la mer immense, il est doux de regarder de la terre ferme le grand effort d'autrui ; non parce que le tourment de quelqu'un est un plaisir agréable mais parce qu'il est doux de discerner les maux auxquels on échappe soi-même] (traduction prise ici)

    Ce que je comprends, c'est qu'on peut avoir du plaisir à regarder des choses bouleversantes et, même, la souffrance d'autrui si on a la chance d'être à l'abri, confortablement assis dans un fauteuil. C'est une idée voisine de la Schadenfreude, un mot allemand qui désigne un sentiment de joie honteuse provoqué par le malheur d'autrui et qui s'emploie beaucoup en anglais. Ce qui me permet de rebondir élégamment (hop hop) sur le fait que Gerardo, homme de goût s'il en est, aime non seulement The Bold and the Beautiful, Joyce et Tibulle, mais encore Hans Magnus Enzensberger, philosophe allemand contemporain dont le nom a une sonorité délicieusement apte à sa qualité (un peu comme la piscine d'Ixelles, qui se trouve rue de la Natation).

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    *Gli Italiani sono uno dei popoli più condizionati e volgari del mondo

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    l'arrivée à Panarea

    Alicudi

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    {Titus Lucretius Carus/Lucrèce, De Rerum Natura -- De la nature des choses}

    {Albius Tibullus/Tibulle, Livre I, Elégie I}

    {Caro diario/Journal intime, Nanni Moretti, 1993, Italie-France}

    12/04/2011

    Pymmania: Less Than Angels, and a few things you should know about the making of tea

    Readers of this blog, whom I won't be presumptuous enough to call happy few (though I might accurately call them few) might know, by now, that I am an unquestioning admirer of Barbara Pym, a lovely British writer who could aptly be described as "the author of graceful comedies about the middle-class British and specifically about the world of the Anglican spinster". I know, this doesn't sound too fascinating but for some reason it is, and I love it (I also love Rammstein, by the way, a fact which has absolutely no connection with dear Barbara -- I just want you to know how eclectic I am).

    I adore Barbara Pym so much that I have painstakingly collected all of her books and read them progressively. My last read is called Less Than Angels and was published in 1955.

    The population of this novel is essentially made out of young anthropoly students who flirt and vie with each other for scholarships. One of the main characters is a lady writing for women's magazines, whose selfless heart and high culinary skills make her spend a lot of time feeding the aforementioned hungry and penniless students. Also present are two intellectual spinsters who share a flat, where they live "out of tins and on frozen stuff", their main interest being the advancement of science, a  missionary linguist with a bushy beard and a bad conscience, etc.

    The book is consistently pymian and very funny, as you may see from the excerpt below.

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    Esther Clovis had formerly been secretary of a Learned Society, which post she had recently left because of some disagreement with the President. It is often supposed that those who live and work in academic or intellectual circles are above the petty disputes that vex the rest of us, but it does sometimes seem as if the exalted nature of their work makes it necessary for them to descend occasionally and to refresh themselves, as it were, by squabbling about trivialities.
    The subject of Miss Clovis' quarrel with the President was known only to a privileged few and even those knew no more than that it had something to do with the making of tea. Not that the making of tea can ever really be regarded as a petty or trivial matter and Miss Clovis did seem to have been seriously at fault. Hot water from the tap had been used, the kettle had not been quite boiling, the teapot had not been warmed...

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    {Pym, Barbara, Less Than Angels, 1955 -- Moins que les anges, traduit de l'anglais par Sabine Porte, 1994}

    24/03/2011

    Où je fais preuve d'égocentrisme

    J'aime beaucoup l'auteure anglaise Jenny Diski (vous pouvez consulter son site ici) ; elle a par exemple écrit un livre assez fascinant sur son tour des États-Unis en train (Stranger on a Train), un autre sur une croisière en Antarctique (Skating to Antarctica). Attention, malgré les apparences, ce ne sont pas à proprement parler des livres de voyages mais plutôt des sortes de mémoires personnels où elle évoque son enfance,  ses parents, ses différents séjours en hôpital psychiatrique... (et aussi ses voyages).

    Il y a quelques années, en lisant On Trying to Keep Still, je suis tombée sur ces mots (page 102) : "blank, ordinary, thoughtless and without the smallest item of interest about me."

    J'étais troublée car -- ahem -- c'était tout à fait moi.

    Un peu plus loin (page 207) : "Not having any useful skills." [...] "Not having political or metaphysical faiths." C'était exactement ça.

    On Trying to Keep Still est placé sous le signe de Montaigne, héros de la solitude bien employée. Justement, cela fait des années que j'ai envie de lire Montaigne (j'ai même racheté à une amie perdue de vue son exemplaire (en bon état) des Essais dans la collection Quadrige aux PUF, la meilleure édition paraît-il). Ce n'est pas une lecture des plus faciles. Pourtant, quand Marie de Gournay découvre les Essais à l'âge de 19 ans, elle est tellement enthousiasmée qu'il lui faut prendre quelques graines d'ellébore pour se calmer (l'ellébore est une plante de la famille des renonculacées qui passait autrefois pour guérir la folie)... Ce genre de détail me laisse rêveuse.

    [Edit : une personne bien informée m'apprend que le dernier roman de Jenny Diski, Apology for The Woman Writing, est justement consacré à Marie de Gournay ! Ce qui n'est pas très étonnant, en fin de compte.]

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    {Diski, Jenny, Apology for the Woman Writing, 2008 -- On Trying to Keep Still, 2006 -- Stranger on a Train, 2002 -- Skating to Antarctica, 1997} [pas de traductions en français]

    {Montaigne, Michel de, Essais, 1580 (première édition)} [plein d'éditions, dont une en français moderne]

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    Merci à Lucie P. qui m'a fait découvrir Jenny Diski et à Michel Magnien, qui avait parlé dans son cours de Marie de Gournay et de l'ellébore -- ça m'a marquée.

    18/03/2011

    Salut, protéine insondable

    "Le restaurant du chef-lieu du mont Athos n'a pas de nom pour la bonne raison qu'il n'y en a pas d'autre. Il n'a pas de carte non plus. Il prépare deux plats, de la soupe de haricots et des spaghettis."

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    Dans mes rêves les plus fous, j'instaure une dictature féroce où certaines tantes de Charles, carnivores zélées incapables de concevoir un repas sans viande, seraient condamnées au végétalisme strict. Nourries de riz complet aux lentilles et à la sauce tomate (agrémenté d'oignons frits, comme dans ce plat égyptien auquel, personnellement, j'ai très envie de goûter, et d'herbes cuites citronnées, dont les Grecs sont friands et qu'ils appellent horta), elles [les tantes, pas les herbes] dépériraient d'ennui et se souviendraient avec émotion des rôtis de porc pleins de crackling, des saucisses moelleuses et des côtelettes d'agneau rosées de leur enfance. 

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    Si, vous non plus, vous n'aimez pas trop JSF et n'avez donc pas envie de lire son dernier livre, où il explique que c'est mal de manger les animaux, vous pouvez lire ce chouette article. Vous pouvez aussi cuisiner une mujaddara (miam), un gâteau à la banane, des galettes aux flocons d'orge ou à la purée de légumes, que vous accompagnerez par exemple d'un diabolique smoothie vert épinard (ça fait peur au début, mais on s'y habitue) et de freekeh (ma nouvelle découverte au supermarché du coin -- c'est très bon).

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    (J'envisage aussi une autocratie qui interdirait la télévision, les magazines féminins, la voiture, l'avion, la margarine ainsi que certaines musiques, celles qui sont diffusées en boucle aux enfers (je ne citerai aucuns noms). Pour compenser, je promets qu'il y aurait plein de cinémas, des transports en commun confortables, des gares magnifiques, des boulangeries artisanales et des vendeurs de snacks bon marché et délicieux, riches en acides gras polyinsaturés, potassium, vitamine K, oméga-3 -- et ce à tous les coins de rues.)

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    {Safran Foer, Jonathan, Eating Animals, 2009 -- Faut-il manger les animaux ?, traduit de l'anglais par Gilles Berton et Raymond Clarinard, 2011}

    {Alexakis, Vassilis, Ap. J.-C., 2007}

    10/03/2011

    Où je m'intéresse à la langue japonaise tout en me réconciliant avec la littérature française contemporaine

    En ce moment je cherche du travail -- c'est un peu angoissant -- et je vais bientôt me marier (ça ne devrait pas l'être). Bref. Pour ceux qui aiment ce genre de choses et qui ne sont pas encore au courant, Murakami Haruki a récemment publié un roman en trois (oui, trois !) volumes. La traduction anglaise de 1Q84 est prévue pour l'automne prochain, la française courant 2011, chez Belfond. Je ne sais pas vous, mais moi je suis. extrêmement. impatiente.

    En attendant j'ai lu, du même auteur, What I Talk About When I Talk About Running -- une sorte d'essai sur la course à pied et l'écriture, et ce qu'elles représentent pour MH (qui court un marathon et un triathlon par an). À vrai dire, cet ouvrage ne sera pas mon préféré de cet écrivain, que j'apprécie énormément par ailleurs. Mais quand même, ça m'a donné envie de courir. Je crois que je vais essayer de faire le tour de la place Whitmore, pour commencer.

    Toujours en attendant 1Q84, je lis Making Sense of Japanese de Jay Rubin (un livre drôle et passionnant, même si vous ne parlez pas le japonais (ce qui est mon cas), mais qui demande quand même de s'intéresser un minimum à la linguistique) et j'ai pris un cours de japonais au centre communautaire. Tant qu'à faire, je pense aussi aller au cours de mandarin -- si Dieu le veut.

    Pour en arriver à la deuxième partie du titre de ce billet : je ne vais pas m'attarder sur l'état préoccupant de la littérature française actuelle, l'impéritie de trop nombreux auteurs, l'abus d'autofiction et toutes ces sortes de choses déprimantes et frivoles. Parce que je viens de lire un adorable et délicieux livre de ce cher Vassilis Alexakis, qui bien qu'il soit grec écrit en français (en fait, je crois qu'il écrit deux versions simultanées de ses textes, une grecque et une française, et puis il pratique l'autotraduction), lecture que je vous recommande chaudement (et ce même si vous ne vous intéressez absolument pas au mont Athos), ainsi qu'un très passionnant roman sur l'assassinat de Reinhard Heydrich par deux partisans tchécoslovaques en 1942, écrit par un monsieur qui s'appelle Laurent Binet et qui est aussi professeur de français (voilà, je me réconcilie avec le noble corps enseignant). Sans rire, j'ai trouvé ce texte magistralement réussi.

    Si vous ne savez pas qui est Reinhard Heydrich, honte sur vous (je plaisante, mais vous devriez quand même lire l'article de Wikipedia qui le concerne).

    (Merci à Vassilis A., Laurent B. et Jessica S. pour ses bons conseils.)

    PS Je viens d'apprendre que le réalisateur Tran Anh Hung, connu par exemple pour L'Odeur de la papaye verte (que j'avais trouvé assez ennuyeux -- pardonnez-moi si vous l'aimez) a récemment tourné une adaptation de Norwegian Wood de MH, avec des acteurs japonais, dont la séduisante Kikuchi Rinko.

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    {Binet, Laurent, HHhH, 2009}

    {Alexakis, Vassilis, Ap. J.-C., 2007}

    {Rubin, Jay, Making Sense of Japanese, 1998 (previously published under the title Gone Fishin' in 1992}

    {Murakami, Haruki, What I Talk About When I Talk About Running, translated from the Japanese by Philip Gabriel, 2008 -- Hashiru koto ni tsuite kataru toki ni boku no kataru koto, 2007 -- Autoportrait de l'auteur en coureur de fond, traduit du japonais par Hélène Morita, 2009}

    15/02/2011

    Un vent d'été souffle à ma fenêtre

    Le beau-frère de Charles, qui, pour être pasteur, n'en est pas moins homme moderne, parfaitement à l'aise dans son époque, possède un Sony Reader et recommande chaudement ce genre d'appareil. (Il a aussi un compte familial Facebook, mais c'est son épouse qui le gère.)

    Christian H., beau jeune homme moderne autant que sportif et père de famille modèle bien qu'athée, n'en voit guère l'utilité (mais en même temps, si j'ai bien compris, il préfère l'escalade à mains nues à la lecture).

    Moi, j'aimerais bien avoir un Kindle. Il paraît que c'est vraiment pratique pour les voyages en avion. Je pourrais y mettre :
    • HHhH de Laurent Binet (rien à voir avec Hou Hsiao-Hsien, recommandé par Jessica S. qui lit plein de livres sur la Seconde Guerre mondiale)
    • The Eyre Affair de Jasper Fforde (merci Ursula)
    • Paris-Athènes de Vassilis Alexakis (parce que j'adore, du même auteur, La langue maternelle et puis que j'adore la Grèce, en général)
    • Alice Kahn de Pauline Klein (recommandé par Patoumi ici ; la seule chose qui me fait un peu peur, j'avoue, c'est que Les Inrockuptibles en disent du bien, ce qui en général est mauvais signe (pour moi)).
    • Babi Yar d'Anatoly Kuznetsov (en fait, comme Jessica S., je suis un peu obsédée par la Seconde Guerre mondiale)
    • Angleterre, une fable de Leopoldo Brizuela (auteur adoré de madame Bookomaton)
    Ainsi, au lieu de six livres à péniblement caser dans mon sac, j'aurais juste une petite tablette ultrachic et me sentirais comme un parangon de modernité érudite et de compétence bienveillante.

    09/02/2011

    Le charme discret de l'huître en déshérence

    Feriez-vous partie de "la moitié du monde qui considère les autres comme un décor" ? C'est chic, ironique et de très bon goût. (Mais en vrai, vous êtes mal coiffée, piquée par des insectes féroces et ne savez jamais quoi dire aux gens.)

    Vous n'avez pas aimé Sex and the City et Desperate Housewives... En plus, les magazines féminins vous ennuient un peu. C'est que vous êtes intolérante et aimeriez tant interdire :

    - le mot "girly"
    - la décoration "raffinée et intemporelle" (et toc)
    - les chanoines gras
    - Noël
    - les réceptions de mariage
    - les robes de mariée

    C'est une évidence, vous êtes aussi antipathique qu'une huître (mais moins iodée).

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    Vous avez lu un livre très intéressant. Tout n'est pas encore parfaitement clair et vous n'aimez pas trop le chapitre sept, mais le reste vaut vraiment la peine de se creuser la tête. Pour en savoir plus, lisez par exemple cette excellente critique de David Lodge. L'auteur de ce livre habite dans les collines d'Adélaïde, a reçu le prix Nobel 2003 et est (certainement) végétarien. Si ça ne vous donne pas envie...

    Vous avez envie de lire In A Free State de VS Naipaul (encore un Nobel, c'est une véritable obsession). À cause de ce billet et puis comme ça, au moins, vous aurez une bonne raison de vous énerver. D'ailleurs, vous aimeriez aussi lire le recueil de nouvelles de l'auteure dudit billet, qui semble avoir beaucoup de talent et écrit de très amusantes et spirituelles lettres ouvertes, au Colonel Kadhafi par exemple, ou au pape Benoît XVI.

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    La bibliothèque de Burnside est quand même un peu décevante. Armée d'une longue liste d'ouvrages convoités, vous êtes finalement repartie bredouille. Pas de Tillie Olsen, ni d'Andrew Bovell, ni de Brian Evenson. Cranford emprunté, Mavis Gallant inaccessible pour Dieu sait quelle raison. Ce n'est pas le paradis escompté. En attendant des jours meilleurs, vous avez pris des livres de cuisine un peu nuls et des romans de science-fiction. Et puis, heureusement, il y a encore de nombreux épisodes d'Avatar: The Last Airbender à regarder.

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    {Gallant, Mavis, The Cost of Living: Early and Uncollected Stories, 2009}

    {Gaskell, Elizabeth, Cranford, 1851 -- traduit de l'anglais par Béatrice Vierne, 2009}

    {Evenson, Brian, Father of Lies, 1998 -- Père des mensonges, traduit de l'anglais par Héloïse Esquié, 2010}

    {Bovell, Andrew, When the Rain Stops Falling, 2008}

    {Olsen, Tillie, Silences, 1978}

    {Gappah, Petina, An Elegy for Easterly, 2009 -- Les racines déchirées : histoires, traduit de l'anglais par Anouk Neuhoff, 2010}

    {Naipaul, VS, In a Free State, 1971 -- Dis-moi qui tuer puis Dans un État libre, traduit de l'anglais par Annie Saumont, 1994 et 1998}

    {Coetzee, JM, Elizabeth Costello, 2003 -- traduit de l'anglais par Catherine Lauga du Plessis, 2004}

    {Ernaux, Annie, La Place, 1984}

    22/01/2011

    Lu et vu en 2010 -- une liste


    LU (le + indique que le livre est vraiment bien)

    • Kay, Jackie, Red Dust Road, 2010 (prêté par Sara) +
    • Arendt, Hannah, Eichmann in Jerusalem -- A Report on the Banality of Evil, 1963 (Burnside Library) +
    • Shute, Nevil, On the Beach, 1957 (Burnside Library)
    • Larkin, Philip, A Girl in Winter, 1947 (Burnside Library)
    • Dick, Philip K., Do Androids Dream of Electric Sheep?, 1968 (Burnside Library)
    • Coetzee, JM, Elizabeth Costello, 2003 (achat) +
    • Portus, G.V., Australia since 1606 - A History for Young Australians, 1932 (prêté par John Crawford)
    • Lessing, Doris, The Golden Notebook, 1962 (donné par Lucie) +
    • Vargas, Fred, Debout les morts, 1995 (donné par Lucie)
    • Gardam, Jane, Old Filth, 2004 (mooch)
    • Aslam, Nadeem, The Wasted Vigil, 2008 (mooch)
    • Xueqin, Cao, The Story of the Stone (Volume 1), translated from the Chinese by David Hawkes, 1792 (Shitouji) (achat) +
    • Morrison, Toni, The Bluest Eye, 1970 (mooch) +
    • Ugrešić, Dubravka, Baba Yaga Laid an Egg, translated from the Croatian by Ellen Elias-Bursác, Celia Hawkesworth and Mark Thompson, 2009 (Baba Jaga je snijela jaje, 2007) (achat) +
    • Bolaño, Roberto, 2666, traduit de l'espagnol par Robert Amutio, 2004 (cadeau de Lætitia) +
    • Colwin, Laurie, A Big Storm Knocked It Over, 1993 (mooch) 
    • Jansson, Tove, De gevaarlijke reis, vertaling uit het Zweeds: Maaike Lahaise, 2009 (Den farliga resan, Schiltds förlag, Helsingfors, 1977) (achat) +
    • Lalami, Laila, Secret Son, 2009 (cadeau de ma sœur) + 
    • Pym, Barbara, No Fond Return Of Love, 1961 (achat) +
    • Coetzee, JM, Diary of a Bad Year, 2007 (achat) +
    • Atwood, Margaret, The Year of the Flood, 2009 (cadeau de ma sœur) +
    • Gourevitch, Philip, We wish to inform you that tomorrow we will be killed with our families: Stories from Rwanda (cadeau de ma sœur) +


    Commencés, pas terminés (pour l'instant)

    • Pym, Barbara, Some Tame Gazelle, 1950 (mooch)
    • Hong Kingston, Maxine, Tripmaster Monkey, 1987 (mooch)
    • Khoury, Elias, La porte du soleil, traduit de l'arabe par Rania Samara, 1998 (Bâb al-Ghams) (achat)


    Lu à haute voix

    • Laclos (Choderlos de), Pierre, Les liaisons dangereuses, 1782 (pas terminé)

    VU

    En salle

    • Departures/Okuribito -- Takita Yôjirô -- 2008 (-/+) (Japon) 
    • No One Knows About Persian Cats/Kasi az gorbehaye irani khabar nadareh -- Bahman Ghobadi -- 2009 (++) (Iran) 
    • A Serious Man -- Joel et Ethan Coen -- 2009 (++) (USA) 
    • Vincere - Marco Bellocchio - 2009 (++) (Italie) 
    • Contes de l'Âge d'or/Amintiri din Epoca de Aur -- Cristian Mungiu, Ioana Uricaru, Hanno Höfer, Razvan Marculescu, Constantin Popescu -- 2009 (++) (Roumanie) 
    • A Single Man -- Tom Ford -- 2009 (-) (USA) 
    • Agora -- Alejandro Amenábar -- 2009 (++) (Espagne) 
    • Tournée -- Mathieu Amalric -- 2010 (++) (France) 
    • Allemagne, mère blafarde/Deutschland bleiche Mutter -- Helma Sanders-Brahms -- 1980 (+++) (Allemagne) (lire ici)
    • Femmes du Caire/Ehki ya shahrazade -- Yousry Nasrallah -- 2009 (+++) (Égypte)


    En DVD

    • Dolls -- Kitano Takeshi -- 2002 (revu) (+++) (Japon) 
    • Herbes flottantes/Ukikusa -- Ozu Yasujirô -- 1959 (+++) (Japon) 
    • Born Yesterday -- George Cukor -- 1950 (++) (USA) 
    • Cluny Brown -- Ernst Lubitsch -- 1946 (revu) (+++) (USA) 
    • L'Immeuble Yacoubian/'Imarat Ya'qubyan -- Marwan Hamed -- 2006 (++) (Égypte) 
    • L'Armée des ombres -- Jean-Pierre Melville -- 1969 (+++) (France) 
    • Le sixième jour/al-Yawm al-Sadis -- Youssef Chahine -- 1986 (++) (Égypte) 
    • Voyage à Tokyo/Tokyo monogatari -- Ozu Yasujirô -- 1953 (revu) (+++) (Japon) 
    • Caramel/Sukkar banat -- Nadine Labaki -- 2007 (-/+) (Liban) 
    • Alice/Nĕco z Alenky -- Jan Švankmajer -- 1988 (revu) (++) (Tchécoslovaquie) 
    • Caro Diario -- Nanni Moretti -- 1993 (revu) (+++)  (Italie) 
    • La chambre du fils/La stanza del figlio -- Nanni Moretti -- 2001 (revu) (++) (Italie) 
    • Sophie Scholl - Die letzten Tage -- Marc Rothemund -- 2005 (+) (Allemagne) 
    • Délice Paloma -- Nadir Moknèche -- 2007 (-/+) (Algérie) 
    • Cría Cuervos -- Carlos Saura -- 1976 (revu) (+++) (Espagne) 
    • Abre los ojos -- Alejandro Amenábar -- 1997 (-) (Espagne)


    Au théâtre

    • De man zonder eigenschappen I (L'Homme sans qualités I), d'après Robert Musil, mise en scène de Guy Cassiers,  Toneelhuis, Anvers 
    • When The Rain Stops Falling, texte d'Andrew Bovell, mise en scène de Chris Drummond, Her Majesty's Theatre, Adelaide